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années de 1846 et 1847, l’impôt extraordinaire des 45 centimes, et plus encore la baisse subite de toutes les denrées, amenée par une diminution spontanée de confiance et de consommation, ont porté, dans la culture une perturbation profonde. On a vu, sur beaucoup de points, les fermiers abandonner leurs fermes ; la plupart des propriétaires endettés ont été ruinés du coup, et la valeur des propriétés rurales a baissé de 50 pour 100. En présence de pareils faits, le mouvement naturel d’une société en progrès s’est arrêté. On a cessé presque partout de faire des avances à la culture ; on a moins bâti, moins semé, moins acheté d’engrais, moins renouvelé son mobilier aratoire et son cheptel. La plupart des bestiaux que nous mangeons aujourd’hui ont dû naître vers cette époque, où l’agriculture vivait sur son capital, et ne songeait à l’avenir que pour s’en épouvanter. Il ne faudrait pas beaucoup d’années comme celles-là pour ruiner un pays aussi riche que le nôtre.

Au moment où nous commencions à nous remettre de ces secousses, la guerre est venue, guerre légitime et héroïque sans doute, mais qui enlève beaucoup de bras à la culture et qui consomme une grande partie du capital national. Avec la meilleure volonté du monde, on ne peut pas tout faire à la fois ; quand le dixième de la population virile est sous les armes, il est impossible que son absence ne se fasse pas sentir dans les travaux productifs ; quand les épargnes du pays servent à faire des canons et des boulets, à transporter des masses d’hommes et de munitions à huit cents lieues de nos frontières, elles ne peuvent être utilement employées ailleurs. Rien ne peut se faire en agriculture sans capitaux, et les capitaux s’éloignent aujourd’hui de la terre plus qu’ils ne s’en rapprochent, absorbés qu’ils sont par les emprunts publics que la guerre nécessite, et qui offrent un placement plus commode, en même temps qu’ils satisfont un autre intérêt national.

Il y a donc eu diminution dans la production, je n’en doute pas. Je voudrais croire qu’il y a eu plutôt, comme quelques personnes l’affirment, augmentation dans la demande ; malheureusement je ne le puis. La consommation a sensiblement augmenté à Paris et sur les autres points où se font de grands travaux publics extraordinaires ; dans l’ensemble, elle ne s’est pas accrue. Un fait incontestable le démontre : le progrès de la population s’est à peu près arrêté. De 1841 à 1845, la population avait monté en cinq ans de 1,170,000 âmes ou 234,000 par an ; de 1847 à 1851, elle n’a monté que de 415,000 ou 83,000 par an ; nous ne saurons que l’année prochaine quel aura été le progrès de 1851 à 1856, mais les résultats connus par la comparaison des naissances et des décès permettent d’affirmer qu’il ne sera pas beaucoup plus sensible.