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vite ; elles sont, comme toujours, de deux sortes : l’une physique, l’autre économique.

Les causes physiques sont la maladie des pommes de terre et les intempéries exceptionnelles de ces trois dernières années. On ne se rend pas compte suffisamment de la portée du fléau qui a frappé les pommes de terre ; on voit cependant qu’en Irlande il en est résulté la mort d’un million d’hommes et l’expatriation de deux autres millions. En France, le mal, pour être beaucoup moins grave, n’en est pas moins réel. La production annuelle des pommes de terre était évaluée à 100 millions d’hectolitres, et s’élevait probablement plus haut ; une moitié environ servait directement à la nourriture des hommes, l’autre moitié à celle des animaux. Cette ressource manque plus ou moins depuis bientôt dix ans, et n’a pas encore été remplacée. La pomme de terre entrait, soit par elle-même, soit par sa transformation en viande, pour un dixième environ dans l’alimentation nationale ; en supposant que la perte soit seulement de moitié, c’est un vingtième qui fait défaut régulièrement, et dans un pays comme le notre, qui produisait tout juste ce qui lui était nécessaire, un déficit d’un vingtième n’est pas à dédaigner ; c’est la nourriture de près de deux millions d’hommes.

De plus, je n’apprendrai rien à personne en disant qu’à deux reprises différentes, en 1846 et 1847 d’abord, en 1853 et 1854 ensuite, nous avons eu une température anormale et très peu favorable à la production. Deux fois en huit ans, nous avons vu une véritable disette. Comment s’étonner alors que les prix se soutiennent ? Tout le monde reconnaît qu’il y a eu un déficit sensible dans la production des céréales ; celle de la viande a diminué par la même cause. Quand les céréales manquent pour la nourriture des hommes, la portion qui sert d’ordinaire à l’engraissement des animaux est plus ou moins détournée pour parer à des besoins plus pressans. Le temps n’a pas été beaucoup plus favorable aux herbages qu’aux céréales ; l’extrême humidité du printemps de 1853 a provoqué de nombreuses épizooties, surtout parmi les moutons. Ce que nous avons perdu en moutons par la cachexie aqueuse est incalculable ; des contrées entières ont vu disparaître presque tous leurs troupeaux. On peut oublier de pareilles crises, mais leurs traces restent profondément marquées dans les faits, et il faut plusieurs années pour réparer le mal produit par une seule.

Quant aux causes économiques, elles ne sont pas moins apparentes. La première est la révolution de 1848 et la période de découragement qui l’a suivie. Ces tristes temps sont encore si près de nous, qu’il devrait être inutile de les rappeler. Au moment où la production avait à faire de grands efforts pour réparer les mauvaises