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deux bras pendant qu’on le désarme. Aux cris de Gustave, qui se débat violemment, les drabans se précipitent vers la chambre ; mais les officiers d’Adlercreutz les contiennent un instant, lui-même vient les assurer qu’aucun danger ne menace la vie du roi ; puis, prenant en main le bâton de commandement de l’adjudant-général du palais : « C’est moi qui commande ici, » dit-il d’une voix qui ne souffre pas de contradiction, et il fait arrêter ceux qu’on croit le plus à craindre. Gustave avait paru se calmer après la lutte ; mais pendant que ses gardiens veillent à ne laisser entrer personne dans la chambre où il est prisonnier, il s’empare tout à coup par ruse d’une épée et s’échappe par une porte de derrière. Alors commence dans les corridors et les escaliers du palais une sauvage poursuite dont Adlercreutz attend avec anxiété l’issue. Que ne serait-il pas arrivé peut-être si Gustave eût soulevé en sa faveur la garde allemande et une partie de cette population que pouvait entraîner la pitié, puis l’ardeur de la lutte ? Greiff, capitaine des chasses, met fin à ces incertitudes en saisissant Gustave au milieu de sa course. Épuisé, presque évanoui, le roi se laisse porter dans sa chambre, d’où on le transfère le soir même, sous bonne garde, dans un château situé à quelque distance de la ville.

Le duc de Sudermanie, frère de Gustave III, consentit, après s’être fait beaucoup prier, à se mettre à la tête des affaires en qualité de lieutenant-général du royaume jusqu’à ce que la diète fût réunie. Il restait à savoir si l’on organiserait le nouveau gouvernement sur des principes nouveaux ; mais dès ce moment on avait éloigné la cause de ruine immédiate qui menaçait la Suède. Le 13 mars sauva peut-être ce pays d’un démembrement ; il sauva certainement Stockholm d’une invasion russe ; 70,000 Russes, établis dans les Aland, s’étaient déjà mis en marche vers cette capitale, et c’était dans le palais des Vasa qu’Alexandre prétendait venir dicter la paix à Gustave IV. En présence des événemens du 13 mars, le tsar dut renoncer à cet audacieux projet. Ces événemens, qui changeaient complètement la situation intérieure de la Suède, ne devaient pas exercer une moins décisive influence sur sa politique extérieure. Le gouvernement proclamé le 13 mars comprenait une nécessité que Gustave IV n’avait jamais su admettre, — la nécessité de chercher dans un bon accord avec la France la plus puissante des garanties contre les tentatives de l’ambition russe. Une ère nouvelle semblait s’ouvrir ainsi avec l’avènement de Charles XIII, pour le royaume de Suède ; mais de terribles vicissitudes lui étaient encore réservées, et ce n’était qu’au prix des plus cruelles perplexités que le peuple suédois, — nous aurons à le montrer bientôt, — devait acquérir l’intelligence de ses véritables intérêts.


A. GEFFROY.