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Cependant la conquête de la Finlande venait d’infliger encore aux armées suédoises un nouvel affront, et en ce moment même Gustave, aigri sans doute par le malheur et se livrant plus que jamais à ses fureurs, prodiguait aux officiers et aux soldats, comme à ses ministres et à ses proches, les mauvais traitemens et l’insulte. Il affectait de préférer les soldats allemands, ceux de Poméranie, aux militaires suédois ; il avait sans cesse présent à l’esprit le souvenir du meurtre de son père, préparé sans nul doute par la noblesse, dont beaucoup de membres faisaient partie de l’armée, et son ressentiment, sa défiance, se trahissaient à chaque instant par des sarcasmes au moins imprudens. Un jour, parcourant avec quelques officiers les îles qui précèdent la côte de Finlande, il rencontre une division de l’armée suédoise, qui, toute en déroute après une tentative de résistance inégale, s’éloignait d’une petite ville que les Russes venaient de surprendre et de livrer aux flammes : l’officier qui commandait ces braves gens, mandé par lui, explique ces circonstances ; mais Gustave refuse d’y croire, il s’emporte en grossières injures, accuse ses soldats de lâche trahison,, et s’oublie jusqu’à arracher de sa main la décoration que cet officier portait sur sa poitrine. Sans doute le désespoir l’égarait ; on le vit errer, presque au hasard, sur un bâtiment dont il voulait que le capitaine obéit à ses caprices, dans cette mer des Aland qui allait bientôt cesser d’être à lui ; on le vit aussi braver dans sa bizarre folie non pas les nobles dangers de la guerre pour sauver sa patrie et sa couronne, mais, sans utilité ni dessein, le mauvais temps, les écueils et le mal de mer, dont il souffrait beaucoup. Il était humilié de voir ces îles et ces côtes échapper à sa domination ; il semblait vouloir les retenir en s’y attachant, au lieu de les préserver en les défendant. Ce fut sa dernière campagne ; il revint à Stockholm morne, abattu, tantôt pleurant sur son malheur, tantôt parlant de suicide, prêt quelquefois à déposer la couronne, et surtout n’épargnant jamais les imprécations à la Suède et à son année.

Peu de temps après son retour, une circonstance qui n’avait en elle-même aucune gravité suffit pour lui faire consommer la faute qui contribua peut-être le plus à précipiter sa ruine. On lui remit un matin une lettre anonyme trouvée dans un corridor du château, et annonçant que des intrigues révolutionnaires agitaient l’armée. La police ne put recueillir à ce sujet aucune autre information ; mais dès ce moment Gustave voulut avoir des espions qui lui fissent de continuels rapports sur l’esprit des soldats, sur le langage et les sentimens de chaque officier des gardes. Ces régimens des gardes étaient justement ceux où servaient les assassins de son père ; il s’imagina qu’il avait tout à redouter d’eux ; il leur ôta d’abord les postes d’honneur