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était, Gustave se trouvait très honoré du salut que lui décernait l’artillerie anglaise. Il n’était pas possible d’être plus provoquant envers la France ou ses alliés, plus extravagant dans sa haine personnelle contre Napoléon (on assure qu’il avait récemment juré de ne jamais traiter avec la bête, et qu’il avait sanctionné cet engagement au pied de l’autel, en recevant la communion) ; il n’était pas possible surtout de se montrer plus oublieux des intérêts de tout un peuple livré par le hasard de la légitimité et le vice de l’absolutisme à ce fou malade.

Si Gustave se croyait en conscience obligé de combattre Napoléon malgré les dangers d’une pareille lutte, au moins devait-il essayer de la rendre moins inégale en resserrant son alliance avec l’Angleterre ou avec la Russie ; tout au contraire sa conduite envers l’une et l’autre de ces deux puissances fut sans cesse capricieuse, et il sembla surtout prendre à tâche d’irriter et de pousser à bout le cabinet de Saint-Pétersbourg. De ce côté, en présence d’ambitieux projets et de menées perfides, non-seulement ses fautes, mais ses bonnes qualités, sa loyauté, sa simplicité de cœur, ses scrupules de conscience, contribuèrent à l’aveugler et à le précipiter avec la Suède dans les pièges qu’on lui tendait.

La politique avait rétabli entre Paul Ier et Gustave une confiance que le souvenir de leurs premières relations personnelles semblait devoir leur interdire. Au commencement de l’année 1800, au moment où le roi de Suède était inquiété à l’intérieur par les attaques de l’opposition à la diète de Norrkœping, Paul Ier fit mander un jour le ministre de Suède, le baron général Stedingk : « On vient de me rapporter, dit-il, qu’il règne en Finlande une certaine agitation des esprits, et que les discussions de la diète n’y manqueront pas d’échos. Mon dévouement pour le roi votre maître et tout aussi bien l’intérêt de ma propre sécurité exigent que je prête une grande attention à tous les mouvemens qui pourraient se manifester dans cette province. On pourrait bien vous donner de graves sujets d’inquiétude de ce côté-ci du golfe pendant que le roi serait occupé de la diète, et que l’état de la mer empêcherait les communications ; aussi ai-je pris mon parti. Une armée est prête ; je vous la donne et je la mets sous votre commandement. Au moindre mouvement, et sans même avoir besoin de m’en prévenir, mettez-vous à la tête de ces troupes. Mon fils Constantin en aura le commandement nominal, mais il n’exécutera que vos ordres, et sa présence vous sera un gage de ma loyauté et de mon désintéressement… Il est là-haut, dans mon cabinet ; je viens de lui dicter à ce propos un plan d’opérations que je veux vous soumettre… Vous acceptez ma proposition, n’est-ce pas ? » — On comprend l’embarras du diplomate, pris au dépourvu. Le tsar était