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mais dont la délicatesse et les bons vins ne purent vaincre le flegme suédois. Après le repas, Toll proposa une convention militaire qui serait signée du maréchal Brune et de lui. « Pourquoi ne pas conclure, dit le maréchal ; un traité formel entre nos deux souverains, et pourquoi ne serait-il question que d’une convention militaire ? — C’est que, dit Toll avec un visage expressif et une voix grave, de manière à donner du poids a ses paroles, il ne faut pas, pour certaines raisons, que le nom du roi de Suède se trouve dans cet acte ; d’ailleurs sa ratification ne serait pas nécessaire en ce moment. » Ces paroles énigmatiques semblaient trop bien confirmer les soupçons qu’on avait. Après quelques momens d’embarras, Reille se prononça le premier en faveur de la proposition. Il pensait, ainsi que le maréchal, que la politique suédoise allait se séparer de celle de l’Angleterre, qu’il fallait donc épargner l’armée de Rügen, afin qu’elle retournât au plus vite en Scanie pour protéger cette province contre une attaque vraisemblable des Anglais, postés en Seeland. La convention fut conclue selon les termes que Toll avait proposés, et l’armée suédoise, à sa grande surprise, et bien qu’entièrement vaincue, eut la liberté de retourner en Suède avec ses armes, ses munitions, ses bagages, et sans avoir perdu un seul homme. Toll se contint jusqu’au bout malgré sa joie. Seulement, lorsqu’il quittait Stralsund et qu’il passait avec son état-major entre les derniers ouvrages de la forteresse, il ne put retenir, en savourant une grise de tabac, ces trois petits mots : « Eh ! c’est fait ! /« .Io ! del lyclades : » Ce fut tout ce que son entourage sut par lui. — Avant la fin du mois, l’armée suédoise, plus de dix mille hommes, était heureusement débarquée sur la côte de Suède.

Gustave était-il devenu plus sage au milieu de telles extrémités ? Non. Pendant ce même mois de septembre, il avait reçu à Carlscrona une nouvelle visite de Louis XVIII et du duc d’Angoulême, et s’il ne leur avait pas renouvelé, malade et humilié qu’il était, ses offres récentes de mettre son bataillon d’émigrés au service du roi de France, de le faire couronner dans la cathédrale de Wismar ou de Greifswald, et de le conduire ensuite triomphalement à Paris, il avait du moins encouragé Louis XVIII à préparer une descente en Vendée avec le secours de l’Angleterre ; lui-même, d’accord avec cette puissance, il rêvait encore d’aller occuper l’île de Seeland, et de ne la rendre qu’en échange de la Poméranie pour la Suède et du Hanovre pour ses alliés. Les Anglais lui offraient de leur côté, pour l’engager plus avant dans ce projet, de lui abandonner Surinam ou quelque autre colonie. Il cédait à ces excitations avec un facile entraînement, et le jour où lord Cathcart et l’amiral Gambier enlevaient la flotte danoise, — témoin de cette violence, du quai de Helsingborg, où il