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conséquence des raisons exposées ci-dessus par le général baron Toll, ledit général est chargé de prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder l’honneur et la sûreté de l’armée. » Le roi avait omis de signer. Toll lui tendit le papier pour qu’il y ajoutât sa signature ; mais Gustave, égaré par la colère, lui arracha le plein-pouvoir, le froissa avec emportement et le jeta loin de lui sans répondre ni signer. Toll le ramassa, et, le donnant au secrétaire : « Écrivez, monsieur, lui dit-il, que le roi m’a donné ce plein-pouvoir, mais que sa majesté est malade et n’a pu signer… » Et pendant que le secrétaire obéissait courageusement, Toll, marchant à grands pas dans la chambre, se parlait à lui-même : « La signature est indifférente après tout ; à la rigueur, je n’ai pas besoin de ce papier, car à l’heure du danger l’homme courageux ne craint pas d’exposer sa tête. » Puis, s’arrêtant tout à coup, et se tournant vers le roi : « Sire, je ne vous demande qu’une chose, c’est de presser votre départ aussitôt que les vaisseaux de Carlscrona seront arrivés. » Le malheureux roi, à qui son humiliation ûtait la parole, lui fit brusquement signe de s’en aller. Toll prit le plein-pouvoir et sortit sans même fermer la porte ; de l’autre chambre, il dit à haute voix, en se retournant vers Gustave : « Évidemment sa majesté n’est pas en état de prendre une résolution ; » et au baron Essen : « À partir de ce moment, je ne connais plus aucun pouvoir au-dessus de moi, si ce n’est Dieu et ma conscience. » Le même jour, on conduisit Gustave à un petit port voisin, on le descendit, enveloppé d’un grand manteau, dans une barque, et une frégate le conduisit en Suède.

On comprendra facilement qu’un pareil concours de circonstances exceptionnelles et bizarres dut exciter des rumeurs de toute sorte, soit dans l’armée suédoise, soit dans l’armée ennemie. Des bruits de maladie et même de mort du roi, de révolte parmi ses généraux et d’abdication forcée, se répandirent dans les deux camps. Toll se garda bien de les démentir, il chargea au contraire ses espions de les faire circuler parmi les Français. Bientôt ceux-ci furent convaincus qu’une révolution militaire avait éclaté dans Rügen, et que le nouveau gouvernement se montrerait moins opposé au système politique de l’empereur. Le terrain était ainsi préparé, quand le général Toll demanda au maréchal Brune une entrevue à Stralsund. Il s’y rendit avec quelques aides de camp à qui il avait recommandé de ne point parler du roi, de se montrer incertains de l’état de sa santé, de paraître même ignorer où il se trouvait, de ne s’exprimer enfin que très vaguement sur les dispositions de l’armée, sur l’état de la garnison de Rügen, et en général sur tout ce qui concernait la guerre. Toll était cependant attendu des Français à Stralsund avec une vive impatience ; on lui servit, ainsi qu’à ses aides de camp, un brillant déjeuner,