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deux énormes pistolets qui avaient appartenu à Charles XII ; Gustave les reçoit avec majesté, puis, toutes les têtes découvertes, il prononce une harangue émouvante qu’il termine par le souhait « d’être assez heureux pour pouvoir, à l’aide de ces armes redoutables, placer une balle dans la tête de son ennemi. » On marche au combat. Dès la première attaque, l’armée suédoise est battue. Gustave propose une nouvelle trêve au maréchal ; mais Brune renvoie le parlementaire en disant que, « pour qui prétend imiter Charles XII, c’est un peu trop tôt de demander une trêve avant que la guerre n’ait duré au moins quelques heures. » Puis, dès que le feu recommence, Gustave est le premier à donner des éperons à son cheval ; il rentre au grand galop dans l’intérieur de la forteresse. — Il était évident que la place ne pouvait résister aux Français, qu’il fallait à tout prix éviter les horreurs d’un assaut, et sauver, s’il était possible, l’armée suédoise ; mais Gustave, ne voulant rien entendre, ne s’occupait qu’à rédiger et à écrire lui-même des appels à la désertion qu’il ordonnait de répandre dans les rangs de l’ennemi. Il fallut que ses généraux prissent quelque parti, sous leur responsabilité et malgré lui-même. L’un d’eux, le baron Essen, eut dans le camp suédois une entrevue avec le général Reille, qui assistait ou surveillait le maréchal Brune. Le général ne dissimula pas que les possessions allemandes du roi de Suède étaient fort menacées, mais il ajouta qu’il répugnait à l’empereur d’être obligé de combattre les Suédois pour les fautes et l’obstination de Gustave. — Quand on rapporta à Gustave ces paroles, sa colère éclata : « Je vous ordonne d’arrêter ce général, dit-il au baron Essen ; je verrai après ce que j’en devrai faire. L’insolent ! séparer mes intérêts de ceux de mes sujets ! Je vous ordonne de l’arrêter. — Que votre majesté se rappelle, répondit Essen, qu’il est venu en parlementaire, sous la protection du droit des gens et de notre honneur. Votre majesté n’a pas le droit de disposer de lui. — Je vous ordonne de l’arrêter immédiatement. — Sire, cela est impossible. — Quoi ! refusez-vous de m’obéir ? — Sire, je ne consentirai jamais à me charger d’une action déshonorante et injuste, et je ferai tout au monde pour empêcher votre majesté d’en ordonner une pareille. » Déjà Essen tirait son épée pour la rendre au roi ; celui-ci finit par céder. Reille put se retirer librement ; mais Essen fut, dès le lendemain, renvoyé dans l’île de Rügen. — Finalement, voici l’expédient qu’on trouva pour sauver l’armée et la population de Stralsund : l’armée, pendant la nuit, se transporta secrètement à Rügen ; le roi lui-même, seul avec son secrétaire Weiterstedt, fit la traversée dans un petit bateau. Il était fort abattu. Ce qui le consolait dans cette disgrâce, c’est que Charles XII avait quitté Stralsund en même équipage ; il remarquait seulement,