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nettement refusé, et qu’il a dit comme François Ier : Nous avons tout perdu, fors l’honneur ! — C’était la devise du roi chevalier. — Je sais ce qu’est le roi ; il mérite d’être connu pour ses grandes et belles qualités… En cas d’un changement de gouvernement, que deviendrez-vous, maréchal ? — Je mourrai honorablement, sire, les armes à la main. Soldat, je suis à tout moment exposé à la mort. La question n’est donc pas de mourir un peu plus tard, mais de bien mourir. — Cela dépend un peu de la destinée ; ce qui n’en dépend pas, c’est ce bonheur qui consiste dans le calme de l’âme, dans le bon témoignage de la conscience ; voilà celui que Bonaparte n’aura jamais. Il pouvait, s’il avait rendu la couronne à son roi, s’assurer une gloire immortelle ; peut-être aura-t-il encore des succès passagers, de la célébrité parmi les hommes : il n’aura pas le repos de la conscience. — Mais son génie, ses grandes qualités, ses exploits immortels, est-il un seul Bourbon qui les égale ? — Il y a des circonstances favorables, il ne s’agit que de bien savoir en profiter. — Peut-être bien. — Et la mort du duc d’Enghien ? quelle monstruosité ! — J’étais alors à Constantinople et ne puis pas l’expliquer. — Et quelle suite d’illégalités et de crimes que toute cette révolution française ! — Sire, j’appartiens à la révolution ; elle s’est faite par la volonté du peuple. — Non, ce n’est pas le peuple français, c’est votre populace qui l’a faite. On voit bien aujourd’hui ce que valent ces révolutions des rues, qui veulent abaisser tout ce qui est élevé en imposant partout leur niveau… Ces principes-là sont déjà abandonnés, vous en êtes une preuve, maréchal. — Si votre majesté eût été à la place de Louis XVI, la révolution n’eût jamais eu lieu… »


Cette dernière phrase du maréchal était-elle une réponse flatteuse ou ironique, ou bien le maréchal s’était-il vraiment laissé séduire ? Il est difficile de le décider. Ce qui parait certain, c’est que le roi de Suède crut avoir fait une conquête, car il fit, quelque temps après, publier cette conversation[1], et un peu plus tard Napoléon mécontent disgracia le maréchal. On sait quelles furent les vicissitudes de ses dernières années et sa mort cruelle en 1815. Peut-être fut-il de ceux que les réactions dans tous les cas doivent atteindre.

Au moment où la paix de Tilsitt terminait les hostilités de la France avec la Russie et la Prusse, quand Napoléon avait devant Stralsund ou sur les frontières de la Poméranie une armée nombreuse et inoccupée, Gustave IV dénonce l’armistice de Schlatkow ; il feint de ne pas savoir que ses alliés l’abandonnent, il envoie des lettres à Frédéric-Guillaume, à Alexandre, à Louis XVIII, pour leur proposer un nouveau plan d’attaque ; il veut ramener en triomphe Louis XVIII à Paris ; lui-même, sans attendre de réponses, il veut commencer par délivrer Stralsund : ce sera le premier pas de sa course. On lui amène en grande pompe son cheval de bataille : le capitaine Tede, une espèce de fou allemand qu’il avait à son service, charge gravement

  1. Elle parut d’abord dans le journal intitulé : Inrikes Tidningar, 11 août 1807.