Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses bizarres doctrines, avait achevé d’égarer son imagination. Ce prétendu philosophe, d’abord garçon tailleur, puis maître d’école, ensuite habile oculiste, professeur d’économie politique à Marbourg en 1787, s’était établi en 1803 dans l’intimité du grand-duc de Bade. Son explication de l’Apocalypse, telle qu’il l’avait donnée dans son livre sur le Triomphe de la Religion chrétienne, publié en 1798, avait, au milieu des émouvantes vicissitudes de cette époque et au sortir de tant de catastrophes, étonné les esprits et séduit les imaginations malades. L’Apocalypse contenait, suivant cette interprétation, une prophétie de l’histoire universelle, un tableau complet, pour qui savait le pénétrer, des destinées prochaines de l’humanité. Les révolutions de l’antique Orient, celles des Grecs et des Romains, de 89 et de 93, tout cela s’y trouvait, suivant le philosophe allemand, exactement prédit, et c’étaient de grands traits faciles à reconnaître dans un si vaste tableau ; mais il s’agissait surtout ensuite pour l’interprète moderne d’expliquer à l’avance les prophéties qui regardaient les temps non encore écoulés. Ici commençait sa témérité ou son inspiration. Qu’était-ce que la bête à sept télés et dix cornes… qui doit s’élever de l’abîme et aller à sa perte, et quel devait être ce cheval blanc monté par celui qui s’appelle le fidèle et le véritable, qui juge et combat justement ? « Je vis la bête et les rois de la terre, et leurs armées assemblées pour faire la guerre à celui qui était monté sur le cheval blanc et à son armée ; mais la bête fut prise, et avec elle le faux prophète qui avait fait devant elle des prodiges par lesquels il avait séduit ceux qui avaient reçu le caractère de la bête et ceux qui avaient adoré son image, et tous deux furent jetés vivans dans l’étang brûlant de feu et de soufre. Le reste fut tué par l’épée qui sortait de la bouche de celui qui était monté sur le cheval blanc, et tous les oiseaux se soûlèrent de leur chair. » Jung avait une réponse pour chacune de ces mystérieuses énigmes. — La bête, c’est quelque avide conquérant qui rêvera d’imposer sa domination à tout le genre humain ; il ira en avant jusqu’à ce que le Christ lui-même, monté sur le cheval blanc, se rende visible aux regards des hommes, s’avance vers lui avec ses armées et le terrasse. Ce grand combat doit être prochain ; Jung l’attend pour l’année 1838 environ ; aussitôt après commencera le règne de mille ans du Christ sur la terre. — Voilà quelles étaient les rêveries dans lesquelles Gustave croyait reconnaître le tableau anticipé de l’avenir, et que sa fantaisie s’obstinait à revêtir de formes précises. Dans Napoléon, il vit la bête, dans les alliés, les cavaliers du fidèle et du véritable. Dès lors ce fut pour l’infortuné roi de Suède comme un devoir de conscience de promettre le concours de ses armes à quiconque détestait Napoléon, ce génie du mal sur la terre, cet ennemi