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anciens serviteurs de son père, entièrement dévoués aux Bourbons. Il écouta surtout les conseils de ce comte Axel Fersen, devenu si célèbre par son zèle pour Marie-Antoinette et Louis XVI, et plus tard par sa mort cruelle. Après la fuite à Varennes, pendant laquelle il avait lui-même, comme on sait, conduit le carrosse de la reine, le comte Fersen était resté près de la frontière et s’était épuisé en efforts pour sauver les prisonniers du Temple. Il avait travaillé à former une coalition en leur faveur et intercédé auprès de toutes les cours ; il avait osé rentrer une fois en France, venir incognito à Paris, et s’était même ménagé une entrevue avec la reine dans sa prison. Le 21 juin lui avait causé un désespoir dont l’impression est profondément gravée dans ses lettres : « Je ne cesse de penser à cette malheureuse reine et à ses enfans, écrit-il au baron Frédéric T’aube, et cette pensée déchire mon âme. Je ne devrais plus t’en parler, je devrais éloigner des souvenirs qui me rendent si malheureux ; mais comment oublier, hélas ! celle qui a si bien mérité de ma part l’hommage éternel que je lui ai voué ?… Je ne cesse de penser à ces malheureux enfans. » « Tout ce que j’ai perdu, écrit-il à sa sœur, est sans cesse présent à mon souvenir et rend ma vie misérable. Toutefois ne t’inquiète pas, chère Sophie, ma santé résistera, puisque je ne suis pas mort le 21 juin. »

On comprend quelles durent être les inspirations d’un tel conseiller, lorsque Fersen, qui s’était vu éloigné des affaires par la régence, devint tout-puissant auprès de Gustave. Ce fut lui précisément qui fut choisi pour représenter au congrès de Rastadt le roi de Suède, non pas en sa qualité de duc de Poméranie, membre de la confédération germanique, mais bien comme l’un des souverains garans du traité de Westphalie. Tel était le rôle que prétendait remplir Gustave IV ; mais Bonaparte avait déjà fait connaître, par le traité de Campo-Formio, qu’il n’entendait pas admettre dans le congrès d’autres représentans que ceux de la Prusse et de l’Autriche, et qu’il s’agissait de mutiler le traité de Westphalie, non pas de le confirmer et de le défendre. « La situation de l’Europe avait bien changé depuis 1648, dit-il à Fersen pendant l’entrevue particulière qu’il lui accorda ; la Suède exerçait alors sur l’Allemagne une grande influence ; elle était à la tête du parti protestant ; elle brillait encore de tout l’éclat que lui avait donné le grand Gustave ; la Russie n’était point devenue un état européen, la Prusse n’existait pas. Ces deux puissances, en grandissant, ont fait reculer la Suède en arrière et l’ont réduite au rang de puissance de troisième ordre. » Comme Fersen, pour combattre ce raisonnement, se retranchait sur le droit, supérieur à la force matérielle, Bonaparte, rompit assez brusquement l’entretien : « Monsieur, dit-il, la république française ne reconnaîtra jamais