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indéterminés auxquels chacun donne une valeur arbitraire. De là tant de mécomptes de bonne foi, tant de divergences sur les théories. Que nous enseigne l’expérience du passé ? Que l’or et l’argent ont fait la richesse de ceux qui les ont possédés[1] ; que la consommation qui s’en fait en dehors de la circulation monétaire est énorme[2] ; que la valeur relative de l’or et de l’argent ne dépend pas des quantités produites ; que si l’un des deux se déprécie, l’autre éprouve une dépréciation à peu près égale ; que les pays les plus commerçans ont directement ou indirectement, réduit l’argent au rôle de monnaie d’appoint et ne se sont pas préoccupés de la démonétisation de l’or. Obéissons avec confiance à ces enseignemens, et ne nous alarmons pas plus de l’invasion de l’or dans notre vieille Europe que de l’action de tout autre grand moteur industriel. Si elle froisse des intérêts respectables, c’est que rien n’est parfait dans ce monde, où la fécondité de la terre même fait des victimes. N’avons-nous pas vu, il y a peu d’années, une suite de récoltes abondantes faire baisser le prix du blé et gêner les fermiers, tout en encourageant la demande et faisant hausser les prix des autres marchandises ? L’abondance des métaux précieux produit des phénomènes analogues : la valeur de ces métaux baisse, et tous les prix haussent. Les créanciers à long terme y perdent quelque chose ; mais toutes les entreprises sont prospères, le champ du travail s’agrandit, les solitudes se peuplent, et la civilisation étend son empire.


VICTOR LANJUINAIS, ancien ministre.

Tréjet (Loire-Inférieure), le 20 juin.

  1. M. Chevalier a dit dans un bon livre qu’il a publié en 1850 : « Tout a enchéri depuis la découverte de l’Amérique, sans que la société devint plus pauvre, au contraire » (La Monnaie, p. 448.)
  2. Sur 40 milliards d’or et d’argent produits depuis la découverte de l’Amérique, il n’en existe plus que 10 à 12 milliards dans la circulation des nations civilisés.