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Le cabinet de Saint-Pétersbourg n’était certainement pas étranger à la conspiration formée par l’aristocratie, et dans laquelle il semble en vérité que le faible Charles XIII lui-même ne refusa pas d’entrer, dans l’espoir de renverser la constitution de 1809. Il est sûr enfin que l’hôtel du ministre russe à Stockholm, l’habile général Suchtelen, arrivé le 26 décembre 1809, et qu’on vit conduire avec tant de finesse et d’habileté pendant tout le règne de Bernadette le jeu de la Russie dans le Nord, était devenu le rendez-vous, pour mieux dire le quartier-général de tout le parti. Les espions de nuit qu’entretenaient les hommes du gouvernement donnèrent cent fois la liste des personnes qui y passaient d’interminables et secrètes soirées : c’étaient les Ruuth, les Fersen, les Armfelt; à tort ou à raison, l’opinion publique était convaincue que c’était dans ces réunions-là que la réaction aristocratique et absolutiste, appuyée sur l’argent de la Russie, élaborait les préparatifs de la contre-révolution.

Il y a plus : non-seulement le cabinet de Saint-Pétersbourg ne resta pas étranger aux menées légitimistes en Suède malgré la promesse d’Alexandre de ne pas intervenir dans les affaires intérieures de ce pays, mais nous avons encore dans la correspondance d’Adlersparre des preuves que la Russie essayait de séduire les populations devenues voisines de ses nouvelles frontières. Comme le gouvernement suédois s’occupait beaucoup de coloniser la Laponie, Alexandre avait offert de lui prêter son concours à la condition que Russes et Finnois pourraient y acheter des terres; c’était un moyen d’envahissement pacifique. Un refus n’avait pas découragé les Russes; ils envoyaient dans les pauvres campagnes du nord de la Suède des agens qui, le dimanche après l’office, se mêlaient à la foule, déploraient le poids des impôts, distribuaient de la part de leur maître quelques secours en argent, promettaient de revenir bientôt, sous le prétexte d’assurer des terres gratuites à ceux qui passeraient dans les îles d’Aland. Ce n’est pas ici le seul exemple d’une pareille propagande de la part de la Russie dans les provinces les plus septentrionales de la presqu’île Scandinave; elle ne dédaigne pas ces pauvres pays, qui sont la route de l’Océan. On devait plus tard la voir étendre ses intrigues jusque vers le pôle nord, jusque dans les pays glacés du Finmark, dont elle ambitionne aujourd’hui encore si ardemment les pêcheries abondantes et les ports qui ne gèlent jamais.

Déchirée par ces menées coupables au lendemain d’une révolution, la Suède, comme on l’a vu, s’était trouvée finalement réduite à redouter les derniers malheurs qu’entraîne l’anarchie; mais elle y reconnaissait sûrement la main de la Russie, et sa haine s’augmentait en raison des dangers que sa redoutable voisine accumulait sur