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remplit avec une habileté supérieure les conditions particulières de la tâche qu’il a acceptée. Ce qui domine, il faut le répéter, dans les œuvres de Bartolini, à quelque ordre de sujets qu’elles appartiennent, c’est un vif sentiment de la nature. La beauté conventionnelle et les types consacrés de la force ou de la grâce l’attirent beaucoup moins que les formes imprévues; mais sa soumission raisonnée à l’autorité du modèle vivant ne dégénère pas en docilité aveugle; sa volonté d’être vrai n’étouffe pas en lui, tant s’en faut, le désir d’épurer et d’ennoblir les réalités qu’il transcrit. Cette recherche simultanée du beau sans préjugés d’école et du vrai sans la trivialité est le caractère principal de la manière de Bartolini et le fonds même de ses enseignemens, — ses enseignemens, avons-nous dit : de ce côté encore le maître eut à soutenir bien des luttes, à combattre bien des préventions lorsqu’il entreprit de continuer par la parole le rôle de réformateur qu’il avait pris en vertu de son talent, et que l’on s’obstinait à confondre avec les emportemens d’un révolutionnaire. Il nous reste à le suivre dans cette nouvelle carrière et à exposer les théories qu’il professa en regard des travaux qu’il a laissés.


II.

Bartolini était fixé à Florence depuis vingt-six années quand il réussit enfin en 1839 à obtenir la place de professeur titulaire de sculpture à l’Académie des Beaux-Arts. Les morceaux diversement importans exécutés par lui durant cette période avaient rendu son nom célèbre dans les pays étrangers, puis en Italie, où il était devenu plus populaire que le nom d’aucun sculpteur. A Rome même, celui de M. Tenerani n’avait pas acquis auprès de la foule autant d’autorité ni de crédit. Seuls, les artistes de profession ou tout au moins les membres de l’académie florentine persévéraient dans leur dédain; ils protestaient courageusement par le style de leurs œuvres contre les doctrines du novateur, et, il faut l’avouer, ce moyen n’était pas le plus sûr pour triompher de son influence. Bartolini, se sentant soutenu par l’opinion, jugea qu’il pouvait s’imposer à l’assemblée où dominaient ses adversaires. A la mort de M. Ricci, son ancien compétiteur, il sollicita de nouveau la chaire qui lui avait été autrefois refusée, et par un acte tardif de justice il fut appelé à l’occuper. Une lettre écrite par lui à l’un de ses amis prouve l’importance qu’il attachait au succès de sa candidature : « Le professeur de sculpture Stefano Ricci vient de mourir, dit-il; voilà sa chaire vacante, et je serais enchanté qu’elle me fût donnée. Si je l’obtiens, je renonce de bon cœur à mon voyage en France, où je dois aller faire le portrait du