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Les lignes, le modelé des chairs et des draperies, tout a l’accent de la vérité palpable ; mais cette vérité, au lieu de préoccuper le regard outre mesure, ne sert qu’à mieux révéler le rayonnement intérieur de la mourante et l’extase sereine où elle s’endort.

Assez près de ce tombeau, Bartolini a sculpté un autre monument où se retrouvent les mêmes qualités et le même sentiment profond, quoique sous des formes dissemblables et sous une apparence de pompe, bien justifiée d’ailleurs par la noblesse exceptionnelle du sujet. Il s’agissait d’honorer la mémoire d’un des plus grands maîtres du XVe siècle, Leon-Battista Alberti, architecte, sculpteur, peintre, poète et auteur d’écrits célèbres sur les arts, les sciences et la morale. Un tel nom imposait à Bartolini le devoir de combiner les idées et les images funèbres avec l’idée de gloire que ce nom implique : alliance délicate et rarement heureuse dans les monumens élevés aux grands hommes plusieurs siècles après leur mort ! Si en effet la personnification des regrets semble de mise là où il faut traduire un sentiment contemporain, elle n’est ailleurs qu’une banalité pittoresque et une allusion sans justesse aux sentimens de la postérité. Le moyen de s’identifier avec une douleur à si longue échéance, et comment admettre la sincérité des pleurs que versent, suivant la coutume, des figures nées deux ou trois cents ans plus tard que l’homme dont elles font mine de déplorer la perte ? En composant le tombeau d’Alberti, Bartolini n’a eu garde de recourir à ces simulacres vulgaires et de tomber dans ces redites. Il a voulu, à l’exemple des anciens maîtres, exprimer en même temps l’idée religieuse et l’idée de gloire humaine, et (comme il le dit lui-même dans une notice qu’il fit distribuer à l’époque de l’inauguration du monument) « consacrer par une allégorie chrétienne » la double immortalité de son héros. La figure de l’illustre artiste se dessine entre deux anges. L’un, élevant un flambeau, guide l’âme vers les régions infinies à la lueur de cette clarté céleste ; l’autre, couronné de lauriers et tenant aussi une torche allumée, symbole du génie dont la gloire luit encore au-delà du tombeau, rappelle fièrement à la patrie ce qu’Alberti a fait pour elle. La donnée, on le voit, est aussi loin de la mesquinerie que de l’emphase ; quant à l’exécution, elle a une valeur du même ordre, un caractère de précision et d’ampleur qui ne trahit pas plus la servilité que la licence, et qui ne relève ni d’un naturalisme sans idéal, ni de l’idéalisme sans naturel.

Cette juste proportion, qu’attestent si clairement les tombeaux de Santa-Croce, Bartolini ne l’a pas, à notre avis, aussi bien gardée dans un travail très célèbre pourtant, et que l’on regarde assez généralement en Italie comme son chef-d’œuvre, — le Monument à la mémoire de M. Nicolas Demidof, — travail immense, vingt fois