Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1258

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soient un prétexte pour séduire le regard des vivans, et qu’un cadavre même doive garder des dehors exquis. Survint Michel-Ange ; on sait de quelle animation puissante, de quel luxe de vie il revêtit la mort dans sa chapelle des Médicis : œuvre prodigieuse que lui seul pouvait tenter sans aboutir à un contre-sens absurde, et qu’il faut regarder comme un effort suprême du génie humain et comme le plus violent des paradoxes ! Plus tard, les prétentions dramatiques, les effets outrés ou repoussans achevèrent d’avoir raison de la manière subtile inaugurée par les sculpteurs du XVe siècle. Les squelettes soulevant leurs linceuls, les têtes de mort grimaçantes furent les élémens de composition adoptés pour émouvoir les spectateurs. Enfin, lorsque l’imitation de l’antique fut devenue pour l’art une loi générale, la sculpture des tombeaux se fit, comme le reste, ouvertement profane ; puis on chercha à établir une sorte de compromis entre la mythologie et le dogme catholique. Même dans les mausolées des papes, il n’y eut plus ni saints ni anges à côté de l’image du mort ; il y eut, comme au tombeau de Clément XIII par Canova, des génies fort dévêtus figurant la douleur chrétienne, ou, comme au tombeau de Clément XIV par le même artiste, des Modération et des Mansuétude.

Les monumens dus au ciseau de Bartolini ne sont pas toujours exempts de ces fautes contre le goût et les convenances morales du sujet. L’un d’entre eux, par exemple, nous montre assez étrangement rapprochées la Muse des festins et la Miséricorde. Sur quelques autres s’accoudent ces malencontreux génies dont le caractère païen ne s’accorde guère avec le sentiment qu’on leur prête ; mais, en général, le style ne dément pas les intentions, et sans être aussi pieusement convaincu que le style des maîtres primitifs, il a parfois une force et une justesse pénétrantes. Le tombeau de la comtesse Zamoïska, dans l’église Santa-Croce à Florence, mérite à ce titre d’être classé parmi les meilleures productions de Bartolini, et quoique celui-ci n’ait fait que le modèle d’après lequel le marbre a été travaillé, quoique la tête, dit-on, soit le seul morceau tout entier de sa main, l’ensemble n’en a pas moins une physionomie complète et cette expression d’unité propre aux œuvres magistrales. Aucune dissonance ne trouble ici l’harmonie générale, aucun ornement parasite ne vient surcharger la sobre majesté de la scène. La comtesse Zamoïiska est représentée au moment même où elle expire. Le geste des mains, le mouvement presque souriant des lèvres qui se ferment en murmurant une dernière prière, indiquent la résignation et la ferveur. On peut dire sans exagération qu’en face de cette figure si calme dans son attitude, si immatériellement expressive, on sent une âme qui s’exhale plutôt qu’on ne voit des muscles qui s’affaissent.