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celui qu’ils dédaignaient naguère. Quant aux artistes, ils se liguèrent si obstinément contre lui, ils persévérèrent si bien dans leur dépit et dans leur prétention à défendre ce qu’ils appelaient la bonne cause, que Bartolini ne put être nommé qu’en 1839 professeur titulaire de sculpture à l’académie de Florence. Quatorze ans auparavant, il avait osé solliciter cette place : qui lui préféra-t-on tout d’une voix? Stefano Ricci, l’auteur du fâcheux monument élevé dans Santa-Croce à la mémoire de Dante, monument dont le moindre tort est d’avoisiner des chefs-d’œuvre de Bernardo Rossellini, de Desiderio da Settignano et de Bartolini lui-même !

Que recelait donc de si pernicieux la doctrine nouvelle ? jusqu’à quel point l’homme qui s’en était fait l’apôtre pouvait-il être accusé d’hérésie, et qu’y avait-il dans son attitude dont on pût se prévaloir pour le proscrire ainsi au nom de l’art? Bartolini n’était certainement pas un de ces audacieux génies qui bouleversent à la façon de Michel-Ange le champ de l’invention et y implantent d’autorité un art nouveau. Essayer de le transformer en titan serait exagération pure, et le mieux est de le laisser pour ce qu’il fut, un révolté à la mesure de l’olympe où trônaient Canova et les siens. Pour être assez modeste en apparence, ce rôle n’en exigeait pas moins une résolution peu commune. L’insoumission de Bartolini à des principes qui, sous couleur de vérités absolues, ne représentaient que des vérités de circonstance suffit en effet pour lui donner le relief d’un novateur sans frein, d’un irréconciliable ennemi de la règle, bien qu’il n’y eût chez lui ni excentricités de commande, ni bizarreries systématiques. Sa manière exprimait seulement la volonté de remonter aux sources où avaient puisé les maîtres des XVe et XVIe siècles; au lieu de se borner à l’imitation textuelle de la statuaire antique, elle accusait une étude choisie de la nature et l’intelligence du vrai sans excès de réalité. Or ce fut précisément cette sage mesure entre la reproduction servile du fait et une interprétation trop libre que l’on taxa de radicalisme aveugle. On confondit ou l’on feignit de confondre ces tentatives pour renouveler l’art italien avec d’autres tentatives qui n’avaient autrefois abouti qu’à le matérialiser. À en croire les Josépins de l’époque, Bartolini était un second Amerighi, un de ces artistes à courte vue qui ne demandent pas à la figure humaine de penser, qui ne lui demandent que d’être : le tout parce qu’il ne révisait pas la nature suivant la méthode prescrite, et qu’il refusait de s’armer à chaque instant d’un compas pour proportionner les formes de ses modèles à certaines formes réputées classiques !

Certes, s’il y avait quelque part tendance matérialiste, elle existait bien plutôt chez les représentans de ce classicisme sans entrailles, chez ces peintres ou sculpteurs qui, tout en s’intitulant idéalistes,