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dehors desquels il n’y avait plus à leurs yeux ni grandeur, ni beauté.

A l’époque où Bartolini revint se fixer en Italie, cette imitation à outrance avait acquis force de loi parmi les sculpteurs. Tous semblaient ne rivaliser que d’abnégation, ou, comme on disait, de canovianisme, mot qui changerait de sens aujourd’hui, mais dont on se servait alors pour exprimer un heureux rajeunissement de l’art antique et la doctrine classique par excellence. Quant à la nature, à force de la réformer et de l’interpréter suivant les règles, chacun avait à peu près fini par voir dans ses exemples un danger plutôt qu’un secours, et quel que fût le genre de travail, on la consultait avec beaucoup moins de confiance que l’Apollon du Belvédère ou la Vénus de Médicis. Bartolini, au contraire, se renseignait de préférence au- près du modèle vivant. Tout en étudiant les statues antiques, — et quel sculpteur pourrait se passer de cette étude? — il prétendait ne s’inspirer en face d’elles que de la vérité qu’elles expriment. Pour tout le reste, il faisait ses réserves et ne consentait ni à humilier son sentiment personnel devant ces traductions du sentiment d’autrui, ni à déshonorer son talent par des plagiats. Une pareille fierté n’était guère de mise au milieu de gens qui s’arrangeaient à merveille de la servitude : aussi les tentatives indépendantes de Bartolini furent-elles hautement condamnées par quelques artistes. D’autres, mieux avisés, firent mine de prendre en pitié ces innovations, et ils réussirent pendant quelque temps à les déconsidérer par le silence.

Cependant un moment vint où il fallut bien compter avec le maître et combattre ouvertement son influence. Depuis son arrivée à Carrare, Bartolini avait terminé plusieurs morceaux en désaccord si formel avec les productions ordinaires de l’époque, qu’il en était résulté dans le public une sorte d’émotion et de curiosité. En outre, les doctrines qu’il professait à l’académie commençaient à séduire les élèves. Il y avait dans ce double fait une menace sérieuse à l’autorité des hommes qui avaient jusque-là régenté l’école, et l’irritation de ceux-ci croissant en raison des résistances qu’on leur opposait, peu s’en fallut que, comme au temps de Josépin et d’Annibal Carrache, on ne prît le parti de vider la querelle sur un autre terrain que le terrain de l’art. Bartolini, peu enclin, il est vrai, à ménager l’amour-propre de ses adversaires, se vit provoqué à son tour dans le sein même de l’académie, et sans l’intervention du professeur de peinture, M. Desmarets, il eût été obligé de défendre du même coup son talent et sa vie. Quelques années après (1813), cette vie se trouvait de nouveau compromise, mais il ne s’agissait plus alors ni de duel académique, ni de combat à armes égales. La haine politique armait cette fois d’autres ennemis du maître, et ils essayaient de se débarrasser de lui par l’assassinat. Tandis qu’une