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la liaison entre les deux artistes qu’une association d’intérêts personnels, dans l’isolement où ils vivaient que le châtiment de leur vanité. Un crayon satirique les représentait agenouillés l’un devant l’autre et se dédommageant de l’indifférence de la foule par un échange d’adorations et d’encens. En mentionnant de pareils enfantillages, nous ne voulons pas, — est-il besoin de le dire? — attribuer une importance sérieuse à des espiègleries d’atelier. Si nous notons ces menues injustices, c’est parce qu’elles tournent parfois au profit du talent. Une blessure profonde peut paralyser l’amour-propre, une égratignure l’agace, et de cette irritation même résultent chez quelques hommes une résistance plus opiniâtre et un surcroît de volonté. Telle fut du moins l’influence qu’exercèrent sur Bartolini les erreurs de jugement et les dédains dont il se vit d’abord victime. Qu’étaient d’ailleurs ces nouvelles souffrances auprès de celles qu’il lui avait fallu, qu’il lui fallait encore supporter? Lui qui s’était accoutumé de longue main à ne pas fléchir sous des épreuves bien autrement pénibles pouvait-il se laisser abattre maintenant qu’il se sentait sûr de lui-même et à la veille peut-être du succès? Encore quelque temps en effet d’obscurité et de patience, et s’il ne doit que plus tard maîtriser tout à fait l’opinion, il prendra rang déjà parmi les artistes dont elle s’occupe.

Le premier ouvrage de Bartolini au sortir de l’atelier de David fut un morceau de concours pour le prix de Rome. Par suite des changemens survenus dans l’état politique de l’Europe, le jeune statuaire florentin pouvait, en dépit de son origine, avoir sa part dans les privilèges accordés aux artistes français, et comme Léopold Robert, qui, né en Suisse, allait bientôt disputer le prix de gravure aux artistes qu’il avait rencontrés à Paris, Bartolini se présenta pour être admis au concours annuel de sculpture. Malheureusement l’argent lui manquait pour les modiques dépenses qu’exigeaient les épreuves préalables. Il lui fallut acheter à crédit la terre à modeler dont il avait besoin, et, sans l’assistance d’un potier qui consentit à lui faire cette avance en lui fournissant par surcroît un morceau de pain à la fin de chaque journée, il eût été contraint de se retirer de la lutte. Bartolini se plaisait à raconter cet épisode de sa vie, et il ne parlait pas sans quelque orgueil du courage avec lequel il travaillait alors tout le jour, mourant de faim, inquiet du succès et certain seulement du maigre repas que lui procurerait la soirée. Cependant le moment approchait où tant d’efforts allaient recevoir leur récompense. Bartolini, il est vrai, ne remporta pas le premier prix, son œuvre n’obtint qu’une seconde médaille; mais soit passion, soit justice, on se récria contre la décision des juges. Les élèves de David, passant assez vite du dédain à l’enthousiasme, prirent