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comme un présage des richesses que ce sol doit produire entre les mains des cultivateurs hollandais. Jusqu’ici les habitations s’étaient élevées sans ordre, et les terres n’étaient point classées. Quelques enfans étant venus au jour par hasard dans ces maisonnettes de bois ou de brique, on ne savait à quelle commune rapporter leur état civil. La loi n’avait pas prévu qu’on dût naître dans cet endroit-là. Aujourd’hui des circonscriptions ont été tracées, des villages et des églises s’élèvent, des canaux, des routes, des avenues d’arbres doivent bientôt varier la figure de cette plaine monotone et telle que l’ont faite les eaux. C’est un monde qui naît. Dans quelques années d’ici, ces mêmes enfans, dont il y a six mois la patrie n’existait pas encore sur la carte, seront les habitans d’une riche campagne, peut-être même les propriétaires d’une ferme, où les vaches reviendront le soir, les flancs pleins d’herbe et le pis gonflé de lait.

La vapeur est appelée à introduire une révolution dans le sol de la Hollande : le vent sera toujours préféré comme moteur économique pour l’assèchement des petits polders ; mais les moulins céderont désormais la place aux machines dans tous les grands travaux d’art. Déjà plusieurs projets considérables sont à l’étude. Il existe un autre lac semblable à celui de Harlem, le Leymeer, qui présente une superficie de deux mille quatre cents hectares, et dont il est question de faire une prairie. Pour ouvrir les travaux il ne manque qu’une somme de 14 à 1,800,000 francs : on la trouvera. Une idée plus gigantesque encore, on pourrait même dire effrayante d’audace, a surgi dans ces derniers temps, c’est celle de mettre à sec le Zuiderzée. Quelques personnes traitent ce projet de chimérique et d’extravagant ; mais après les dernières conquêtes de l’industrie, après la découverte de la vapeur, après surtout le dessèchement du lac de Harlem, il n’y a plus rien d’impossible. Il faut en effet se souvenir que les vues de Leegh Water, ce faiseur de moulins, avaient d’abord rencontré le même sentiment de doute, sinon de malveillance et d’incrédulité. Une différence très sérieuse existe toutefois entre les deux entreprises : le lac de Harlem ayant des bords, les travaux s’appuyaient du moins sur une masse d’eau prisonnière et limitée, tandis que, le Zuiderzée communiquant à la Mer du Nord par une large ouverture, on opère, dans ce dernier cas, sur l’infini. Avant de dessécher le Zuiderzée, il faudrait lui donner des rivages. Aussi l’intention des ingénieurs qui rêvent ce grand projet serait-elle d’élever du côté de l’Océan une digue, une barrière qui isolerait les eaux du golfe. La création d’un tel polder, l’obligation de détourner les rivières qui se jettent aujourd’hui dans le golfe, tout cela présente des difficultés immenses ; cependant nous ne croyons pas ces difficultés insurmontables. Si les Hollandais conçoivent froidement et lentement, ils ne reculent devant