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étaient sans doute un héritage de famille. C’était elle qui, de concert avec l’évêque protestant, dirigeait divers établissemens de bienfaisance fondés en faveur des Juifs. Parmi ces établissemens, j’ai vu les deux principaux : l’hôpital et l’école. J’ai peu de chose à dire de celle-ci; mais l’hôpital est une charmante retraite, bien située, bien tenue, bien meublée, et où les gens bien portans ne sont pas exposés à tomber malades, comme cela peut arriver dans plus d’un hôpital d’Europe. Il y a là une excellente pharmacie, une administration soutenue par d’abondantes ressources. Cet hôpital protestant, qui n’est destiné qu’aux Juifs, contraste profondément avec l’hôpital catholique, pauvre établissement que les faibles ressources des fidèles ont peine à soutenir, mais où l’on accueillerait même un protestant, s’il se présentait.

Puisque je suis à parler d’hôpitaux, je dirai que j’allai visiter l’asile des lépreux, et j’ajouterai en passant qu’il est fort heureux que M. de Maistre n’ait pas fait comme moi, car nous n’aurions pas son admirable récit. Dans la plupart des villes de Syrie, les lépreux mènent une singulière, mais heureuse existence. Ils sont logés aux frais de la commune ou des particuliers charitables, qui se cotisent en leur faveur. Ce logement n’est ni cher ni somptueux, puisqu’à Jérusalem, par exemple, il consiste en un petit espace dans lequel les lépreux eux-mêmes ont construit quelques huttes, où les derniers venus remplacent successivement les plus anciens qui disparaissent. Chacun d’eux emploie son temps comme il lui plaît, et leur goût uniforme les porte à la mendicité. Aussi les rencontre-t-on dans les rues et sur les promenades, une sébile à la main, leur visage à découvert, ce qui suffit d’ordinaire pour expliquer leur situation et leurs besoins. À la chute du jour, tous rentrent dans leur parc, y font leur cuisine et leur repas, et s’endorment comme des justes qui ont étanché leur soif.

Ceux qui prennent soin des lépreux leur font une petite pension de quelques paras[1] par jour, somme plus que suffisante du reste pour subvenir à leur existence. La lèpre n’est considérée par personne en Orient comme une maladie contagieuse, ni même comme une honteuse et dégoûtante infirmité, le sentiment du dégoût étant d’ailleurs fort peu développé en ce pays. L’aspect du lépreux est pourtant bien propre à l’inspirer. Sa peau, celle de son front surtout, se couvre d’abord de loupes qui se fendent bientôt en formant soit des écailles, soit des escarres. Ses lèvres et ses paupières s’enflent et perdent leur forme primitive, tandis que les cartilages des oreilles et du nez s’allongent démesurément, et de telle sorte que les oreilles

  1. La moitié d’un centime.