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cheiks du désert, chargé de rançonner les voyageurs à domicile. Le cheik arabe, vieillard d’une soixantaine d’années, vint me trouver en effet deux jours après ma visite au pacha, me présenta une espèce de passeport qui me garantissait, à l’entendre, contre tout mauvais traitement des tribus du désert pendant mon voyage, mais qui ne me dispensait pas cependant de prendre une escorte, et qui m’obligeait même à payer cent piastres par tête de voyageur, partie avant le départ et le reste au retour. Cette nouvelle et pacifique méthode de tirer argent des voyageurs doit être extrêmement productive, car notre seule promenade au Jourdain faisait passer dans les mains arabes douze cents piastres. Tout cela étant arrêté et quelques personnes du consulat français s’étant jointes à nous, on se mit en route vers les neuf heures du matin.

J’avais le cœur oppressé et l’esprit inquiet. Je redoutais pour ma fille l’action des chaleurs accablantes qui règnent sur les bords du Jourdain et de la Mer-Morte. Notre excursion n’eut heureusement aucune suite fâcheuse, bien qu’elle eût mis plus d’une fois notre courage à l’épreuve. De Jérusalem au couvent de Saint-Saba, but de notre première étape, la distance n’est pas longue, mais on peut beaucoup souffrir en quelques heures. Nous chevauchions entre des roches dont l’éclatante blancheur et l’aridité complète nous rendaient doublement cruelle la réverbération de la chaleur et de la lumière. Enfin nous oubliâmes un moment nos souffrances à la vue d’un étroit ravin que dominaient deux hautes montagnes, et dont le fond disparaissait sous un entassement de blocs gigantesques. Ce ravin était le lit du torrent desséché de l’Hébron. Une des montagnes qui l’enferment nous apparaissait creusée de grottes innombrables, où vécurent, dit-on, saint Saba et ses disciples; l’autre, située sur la rive gauche du torrent, est couverte d’édifices divers, maisons, églises, forteresses, qu’entoure un seul mur de clôture. Ce groupe de bâtimens n’est pas une citadelle comme on pourrait le croire, c’est le couvent de Saint-Saba, propriété de l’église grecque et habitée par des moines qui ont eu à soutenir plus d’un siège pour défendre leurs riches possessions contre les tentatives des Arabes. L’hospitalité des moines grecs de Saint-Saba est d’ordinaire très fastueuse, mais il leur était arrivé peu de jours avant notre visite une singulière aventure. Plusieurs jeunes Anglais, munis de lettres de recommandation du patriarche grec pour le supérieur du couvent, ayant eu à se plaindre de la réception des moines, n’avaient trouvé rien de mieux que de rosser d’importance les vénérables pères, plus habitués à faire usage de leur artillerie contre les Arabes qu’à repousser un assaut de boxe et de bâton. Depuis que ces redoutables hôtes les avaient quittés, les moines grecs de