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et qui rendit praticables toutes les hardiesses du génie humain, il leur manquait la vapeur. La force de la vapeur trouvée, l’assèchement du lac de Harlem était décrété en principe. Cette invention moderne changea en effet de fond en comble les conditions de cette œuvre difficile et jusque-là téméraire. Au mois d’avril 1840 partit de la Hollande pour se rendre en Angleterre une commission chargée de faire des recherches sur la vapeur et sur les machines d’épuisement. On sait quel parti la Grande-Bretagne a tiré du nouveau moteur. À quelles profondeurs elle est allée chercher l’eau de ses mines, et à l’aide de quelles puissantes pompes elle a chassé cette eau vers la surface ; mais rien de tout ce qui avait été fait et pratiqué jusque-là n’était applicable à l’entreprise du lac de Harlem : il fallait un système de machines tout nouveau. Après quelques essais, les principaux organes du nouvel appareil furent constitués. C’était moins une machine qu’un être colossal et animé ; on lui donna le nom de Leegh Water, en souvenir de celui qui, le premier, avait osé conseiller le dessèchement de cette mer[1]. Le Leegh Water commença tout seul l’épuisement des eaux le 7 juin 1848. Deux autres machines, le Cruquius et le Lijnden, vinrent à son aide, l’une le 7 juin 1848, et l’autre au commencement d’avril 1849. Aujourd’hui le dessèchement est un fait accompli. Lorsque nous visitâmes dernièrement le lac de Harlem, cette redoutable mer intérieure n’existait déjà plus. Le Leegh Water travaillait encore, mais c’était à soutirer les eaux superflues d’un petit bassin, faible et dernier vestige de ce qui avait été le Haarlemmer meer. L’édifice qui contient la machine est une tour ronde, placée au midi de l’ancien lac et assise sur une forêt de pilotis. Les constructions de l’industrie moderne ressemblent quelquefois à celles de la féodalité ; dans les unes et les autres, l’art s’est proposé d’installer la force matérielle. Seulement dans les anciennes tours résidait la puissance de destruction, tandis que ce bastion colossal, debout au milieu des eaux vaincues, effacées, représente ici la puissance d’utilité. À cette tour est adossé un bâtiment carré pour les chaudières. Il nous a été permis de visiter les pièces intérieures du Leegh Water, dont quelques-unes sont d’une grandeur inconnue jusqu’ici dans le monde mécanique. Le Leegh Water ne fonctionne pas ; il travaille, il vit, tant une économie intelligente préside à tous ses mouvemens. Onze pompes, vastes et puissans suçoirs, fixées au flanc de la tour, lui donnent l’air d’un polype gigantesque occupé à boire les eaux du lac[2].

  1. Ceux, qui croient à la prédestination des noms peuvent s’exercer sur celui-ci : Leegh Water signifie en hollandais vide-eau.
  2. Pendant les trente-neuf mois qu’avait durés le dessèchement, les machines en pleine activité avaient tiré 924,266,112 mètres cubes d’eau, et consommé 25,789,920 kilogrammes de houille.