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été péchés dans le lac, et qui appartiennent à la plus grande taille des poissons d’eau douce. Tour à tour d’humeur calme ou violente, ce lac paraissait se comporter selon des lois à lui. Le 1er novembre 1755, on l’avait vu s’émouvoir au moment du fameux tremblement de terre de Lisbonne, et l’on n’apercevait rien de cette agitation dans la mer. La traversée, de ses eaux était périlleuse : il y avait eu des naufrages. Comme ces animaux qui deviennent plus méchans avec les années, le lac de Harlem se montrait de jour en jour d’un caractère plus tempétueux. À chaque gros temps, on voyait dans cette mer intérieure des montagnes d’eau se soulever, battre avec une grande force les ouvrages de défense, et s’écrouler sur les bords avec beaucoup d’écume. C’était un voisin incommode et dangereux ; si les ouvrages dans lesquels en le contenait à peine fussent venus à céder, le lac se serait jeté dans d’anciennes tourbières inondées et eût recruté là de nouvelles forces pour menacer toute la Hollande. On dépensait, d’un autre côté, à combattre ses empiétemens et à le refouler dans son lit autant d’argent qu’il en eût fallu pour le mettre à sec. Cependant le lac de Harlem continuait d’exister, lorsque, le 9 novembre 1836, les eaux, chassées par un vent d’ouest furieux, s’élancèrent par-dessus les digues et les routes, et arrivèrent jusqu’aux portes d’Amsterdam. Cet événement décida du sort du Haarlemmer meer. Le lac avait menacé Amsterdam, Amsterdam dit au lac : Tu disparaîtras.

De ce jour en effet, son arrêt fut prononcé ; il ne s’agissait plus que de trouver les moyens pour exécuter la sentence. Le dessèchement du lac de Harlem avait été plusieurs fois proposé, et divers systèmes avaient été mis au concours. En 1643, un ingénieur et faiseur de moulins dans la Nord-Hollande, Jean-Adrien Leegh Water, voyant le péril qui menaçait la Hollande, si le lac de Harlem continuait d’exister, avait publié à Amsterdam un petit ouvrage dont la conclusion était : « Il faut se débarrasser de cette masse d’eau ruineuse et envahissante, ergo delendum est mare ! » A cet ouvrage, — Haarlemmer meer Boek, — étaient joints un plan de dessèchement et une carte. L’auteur du projet avait besoin de cent quarante moulins pour déverser l’eau du lac dans la mer. Ce projet rencontra plus d’un genre d’objections : il aurait fallu que le vent se fit sentir vite et longtemps dans la même direction pour que les moulins travaillassent convenablement. Beaucoup d’autres systèmes se produisirent ; mais pour extraire cette puissante masse d’eau, il fallait une force considérable, indépendante des variations de l’atmosphère, soumise seulement et entièrement à la volonté de l’homme. Ces plans embryonnaires n’étaient, relativement aux moyens d’exécution, que des utopies ; il leur manquait une découverte qui levât tous les obstacles