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à redouter les grandes montagnes qui descendent des glaciers et qui encombrent fréquemment les alentours du Groenland et la baie de Baffin. Presque toute la péninsule du Groenland est couverte de neiges perpétuelles; les deux chaînes qui bordent les côtes, et dont les découpures profondes forment les fiords, servent de réservoir à de gigantesques glaciers, auprès desquels ceux des Alpes sont bien petits. Les vallées transversales qui leur servent de lit sont très encaissées, et les cimes qui les couronnent ont, depuis le cap Farewell jusque vers la baie de Disco, située à la latitude de 70 degrés, entre 500 et 1200 mètres de hauteur. Au-delà, la côte semble s’abaisser un peu jusqu’au fond de la baie de Baffin. Sur la rive orientale, le rivage a les mêmes caractères, et les côtes vues par Scoresby à la latitude de 78 degrés étaient encore assez hautes.

Le cap Farewell ou des Adieux, qui forme l’extrémité méridionale de cette vaste péninsule, est le point où se sont croisés les deux systèmes de montagnes qui ont marqué le relief du Groenland, pour employer une expression aujourd’hui consacrée par l’autorité de M. Elie de Beaumont. Il oppose aux flots de l’Océan la haute barrière de ses falaises abruptes et rappelle complètement, par toutes les particularités de sa position, le cap de Bonne-Espérance et le cap Comorin. Ce n’est qu’à Baal’s-River et à Godhaab, les premiers points habités de la côte occidentale, qu’on commence à apercevoir les glaciers. Ils ne s’avancent pas encore directement jusqu’à la mer, et descendent seulement par des gorges étroites jusque dans les fiords. Les golfes profonds des environs d’Holsteinbourg leur servent pareillement de réservoirs. A la latitude de 70 degrés, où le niveau moyen de la côte s’abaisse légèrement, commence le gigantesque glacier qui borde presque sans interruption tout le fond de la baie de Baffin. Si l’on comparait les glaciers de la partie inférieure du Groenland aux rivières qui descendent des montagnes en suivant la ligne des vallées, ou plutôt, à cause de la lenteur de leur mouvement, aux coulées de laves qui sillonnent les pentes des volcans, alors l’immense accumulation de ces glaces qui viennent descendre dans le fond de la baie de Baffin rappellerait à l’esprit une véritable inondation, ou bien ces grandes masses éruptives qui, dans les anciennes révolutions du globe, se répandaient tumultueusement sur d’immenses étendues. Dans ces hautes régions arctiques, les falaises sont ordinairement droites et profondes, et le glacier, en débouchant lentement de la haute vallée où il se trouvait encaissé, demeure en surplomb dans la mer; peu à peu le poids de cette masse ainsi suspendue, constamment minée par les eaux salées à sa partie inférieure, devient si considérable, qu’elle se brise et se détache avec une détonation plus forte qu’un coup de canon. La montagne ainsi détachée chancelle et