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aux hommes du culte réformé. À Delft, il existe aujourd’hui une école spéciale dans laquelle on forme des élèves pour le génie Hydraulique. Ce corps d’ingénieurs civils est la véritable armée qui veille à la défense du pays. On ne se figure point avec quelle science doivent manœuvrer les écluses pour ne point ouvrir les portes à l’ennemi, ni quel art pratique et minutieux doit présider dans tout l’intérieur du pays à l’harmonie des eaux. Notre conviction est que les Hollandais sont seuls capables de cette surveillance continuelle et méthodique, de ce travail sans distraction, faute duquel leur pays disparaîtrait à chaque instant sous les fleuves ou sous la mer. C’est à leur persévérance, aux lumières de leurs ingénieurs, à des dépenses énormes, au concours de tous les citoyens, que la Hollande doit de lutter contre les flots et de surnager, luctor et emergo.

Les succès obtenus dans l’assèchement des polders, dont quelques-uns se trouvent placés à quatre et cinq mètres au-dessous des terrains naturels, devaient inspirera l’homme une grande confiance dans ses forces. Ce fut en effet comme une prime d’encouragement pour ouvrir des travaux plus hardis encore. Au XVIIe siècle, des étendues de terre considérables furent pour ainsi dire tirées du sein des eaux. Le premier dessèchement sur une grande échelle se fit dans la Hollande septentrionale en 1614. Des lacs formés par la nature, notamment ceux du Beemster, du Purmer et du Shermer, se changèrent sous la main de l’industrie en une des campagnes les plus belles et les plus riches des Pays-Bas[1]. Un observateur de ce temps-là, William Tempel, nous raconte sa surprise et son admiration, quand il vit un ancien lac de deux lieues de large (le Beemster) sur lequel paissaient des bœufs ! Ce sol, divisé en canaux, traversé par des voies régulières, des avenues d’arbres, formait déjà de son temps le plus joli paysage qu’on pût imaginer. De 1608 à 1640, vingt-six lacs se transformèrent ainsi dans la même province en polders. En 1820, on comptait dans la Hollande septentrionale plus de six mille hectares mis à sec. Dans la Hollande méridionale, le chiffre des terres restituées à l’agriculture était en 18hh de vingt-neuf mille

  1. Une chronique locale rapporte que les desséchemens dans la Hollande septentrionale furent faits par un particulier. C’était un marin ou un pêcheur. Il avait vu la grande flotte envoyée par Philippe II contre la Hollande et l’Angleterre ; il avait été aussi témoin du désastre de cette flotte battue par la tempête, qui perdit de tous les côtés ses vaisseaux ; il avait surtout gardé le souvenir d’un beau navire tout chargé de fer et d’or qu’il avait vu couler à fond. Ayant entendu parler des frais considérables que devait entraîner le dessèchement du Purmer, il se mit en tête de reprendre à la mer les richesses qu’elle avait englouties sous ses yeux. Il se rendit dans cette intention sur la côte d’Irlande, fit plusieurs voyages mystérieux, et sut enfin, par îles manœuvres habiles, découvrir la Californie sous-marine. C’est avec l’or tiré de la caisse du bâtiment espagnol que, selon la chronique, le lac aurait été converti en terre ferme.