Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1162

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bœufs partant pour le labourage ne produisent pas une impression si heureuse. Ce n’est pas qu’ils soient traités avec moins de vérité, mais ils ne sont pas d’une exécution aussi avancée, et cette différence dans le travail se traduit par un certain étonnement. On se demande pourquoi l’auteur n’a pas achevé ce qu’il avait si bien commencé. Le coupable, je le crains bien, n’est pas M. Troyon, mais le public, qui accueille trop volontiers les esquisses, et se montre ensuite sévère pour ce qu’il avait d’abord encouragé. C’est à lui-même, à lui seul que le public devrait s’en prendre, puisqu’il a accepté comme une œuvre complète ce qu’il traite maintenant comme une simple indication. Les Bœufs partant pour le labourage sont très bien conçus. Il y a de la grandeur dans le paysage, la lumière est bien distribuée ; mais les bœufs ne sont pas modelés avec assez de fermeté. M. Troyon a trop de talent pour réclamer l’indulgence.

Plus d’une fois j’ai loué les paysages de M. Paul Huet, et c’est à mon avis un des hommes qui comprennent le mieux le sens poétique de la nature. Souvent il lui est arrivé de ne pas écrire avec assez de précision la forme des terrains et des forêts. Cette année, je suis heureux de le dire, il s’est montré plus sévère pour lui-même, et le public lui en saura gré. Son Inondation à Saint-Cloud est traitée avec largeur, mais il y a cependant assez de détails pour déterminer la forme. Troncs et feuillages, tout est vrai. L’image des arbres dans l’eau est tracée avec adresse. En somme, c’est un bon ouvrage, un des meilleurs que l’auteur ait jamais signés. Il n’y a pas un coin de cette composition qui soit traité avec négligence, et je vois avec plaisir que M. Paul Huet a compris la nécessité de ne pas s’en tenir à l’ébauche. Éclairé par une longue pratique, il s’est soumis aux conditions qui régissent la peinture comme toutes les manifestations de la pensée. Il n’indique plus ce qu’il veut dire, il le dit.

Le talent de M. Théodore Rousseau est demeuré longtemps la croyance exclusive de quelques adeptes fervens et dévoués, qui ne toléraient aucune discussion à l’endroit de leur maître. À cette époque, il ne prenait pas la peine de rendre ce qu’il avait vu ; il se contentait de quelques masses confuses, que les initiés baptisaient sans hésiter du nom de chef-d’œuvre. Aujourd’hui, éclairé par l’incrédulité obstinée de la foule et par l’indifférence des esprits sérieux, il s’est décidé à changer de route. Il abandonne les masses, ou du moins il leur restitue la valeur qui leur appartient ; il s’en sert pour diviser ses compositions, et traite les détails avec un soin religieux. Parmi les toiles nombreuses qu’il a envoyées cette année, j’ai surtout remarqué un Groupe de chênes dans les gorges d’Apremont. C’est une étude faite avec amour, dont toutes les parties sont traitées avec une exactitude scrupuleuse. Je crains pourtant que M. Théodore