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Pour les hommes qui aiment vraiment la peinture, Decamps est un des plus grands artistes que la France ait produits, un de ceux dont le nom n’a pas à craindre l’oubli. Il connaît les limites de son art, et ne lui demande jamais l’expression d’une pensée complexe; aussi toutes ses œuvres nous attirent par leur clarté avant de nous charmer par l’originalité de leur accent. Il sait nettement ce qu’il veut faire, et sa main m trahit pas sa volonté. Ses paysages d’Orient et d’Italie sont à bon droit regardés par les connaisseurs comme des prodiges de splendeur et de vérité.

Dans les premières années de sa carrière, il a eu plus d’un imitateur; il n’a jamais eu de rival. Sa manière n’appartient qu’à lui, et jusqu’à présent ceux qui ont cru le copier n’ont fait que le parodier. Maître absolu dans le domaine qu’il a conquis, il n’a pas à redouter l’invasion d’un voisin jaloux. Ce n’est pas qu’il n’y ait beaucoup à gagner dans son commerce, mais il défie toute tentative de plagiat. Pour peindre à sa manière, il faut avoir vu ce qu’il a vu, et surtout se résigner aux mêmes épreuves, aux mêmes tâtonnemens, car Decamps, malgré son habileté, malgré sa renommée, ne fait rien du premier coup. Ses amis, en le voyant partir pour l’Italie, n’étaient pas sans inquiétude; ils se demandaient si le spectacle des peintures murales ne jetterait pas le trouble dans son esprit, s’il n’essaierait pas de changer sa manière. Heureusement il a su résister à cette tentation. En présence des plus belles œuvres que le pinceau ait jamais créées, il est demeuré lui-même et n’a pas renoncé à ses habitudes. Il a compris qu’il valait mieux suivre une méthode personnelle que d’abdiquer sa volonté pour essayer de recommencer le passé. Il est revenu d’Italie plus habile, plus savant; mais son talent n’avait pas changé de nature; en peignant la Cervara, il a gardé le style de ses premières années.

Pourquoi Decamps n’a-t-il jamais abordé ce qu’on est-convenu d’appeler la grande peinture? C’est une question que j’ai entendu poser plus d’une fois. Est-ce de sa part un signe d’injuste défiance? N’est-ce pas plutôt une preuve de bon sens? Pour moi, je crois qu’il a bien fait de s’en tenir à la peinture de chevalet. Je ne dis pas qu’il eût échoué en agrandissant le cadre de ses conceptions : ce serait de ma part une ridicule présomption que de vouloir mesurer ses facultés; mais il a préféré le certain à l’incertain, le connu à l’inconnu, et je n’ose le blâmer.

On lui a souvent reproché d’abuser de l’empâtement, et cette accusation n’est pas absolument dépourvue de justesse : plus d’une fois en effet il lui est arrivé de modeler des nuages presque aussi solidement que des terrains; mais cette faute, que je n’entends pas contester, est amplement rachetée par le relief qu’il sait donner à tous les