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les ingénieurs hollandais appellent l’échelle des eaux. On sait déjà qu’une grande partie de la Néerlande est située fort au-dessous du niveau de la mer et des rivières. Pour évaluer ces différences de position, l’art a tracé une ligne imaginaire qu’on a nommée le niveau d’Amsterdam. Ce plan est aux autres degrés de l’échelle hydraulique ce que le zéro du thermomètre est aux différens degrés de la température. En partant de cette base, on a pu se former une idée de la situation relative de la terre et des eaux dans le royaume des Pays-Bas. Les résultats de ces calculs, il faut bien le dire, n’ont rien de rassurant. Durant les mauvais temps ou, pour parler la langue locale, durant la tempête du nord-ouest, la marée monte, près de Katvijk, à 3m40 ; la marée de la Meuse, près de Rotterdam, s’élève à 3m20, et celle du Leeck, près de Vianen, s’élance à 5m80 au-dessus du niveau d’Amsterdam. On voit d’ici ce que deviendrait un pays placé dans de telles conditions, si la main de l’homme venait à se retirer. L’industrie a tiré la Hollande du néant ; c’est l’industrie qui la conserve. Au système des digues se lie, comme moyen de défense contre les eaux, le système des écluses. — On a dit que les Hollandais n’avaient pas d’architecture : quelques monumens civils ou religieux protestent contre cette opinion beaucoup trop exclusive ; mais il faut se souvenir que toujours l’art de bâtir se moule sur la nature et sur les nécessités d’un pays. Or en Hollande l’architecture vraiment nationale est l’architecture hydraulique. Celle-ci a jeté des constructions immenses, colossales. Les premières écluses étaient de bois : aujourd’hui ce sont des monumens de pierre, et les plus magnifiques ouvrages qu’on puisse voir. Le propre de cet art n’est pas l’élégance, c’est la force. Pour se faire une idée du style de pareils travaux, il faut visiter les grandes écluses d’Amsterdam, et surtout les constructions de Katvijk. Cette forteresse, élevée contre la mer, a vraiment un caractère sévère et imposant. Trois écluses se succèdent à l’embouchure du Rhin, dans le canal destiné à soutenir le cours défaillant des eaux, et protègent, de ce côté la Hollande. Les jours de grande tempête, on juge prudent de faire des concessions à la mer : les portes de l’écluse la plus avancée vers l’embouchure du fleuve livrent passage aux vagues, qui courent furieuses jusqu’à la seconde écluse et s’y brisent. Ces masses de pierre qui tiennent tête à l’Océan, ces puissantes machines que dirige un art fondé sur l’expérience, ces portes qui s’ouvrent et se ferment selon le courant et le niveau des eaux, selon la direction des vents, tout cela révèle l’existence d’un système admirable et compliqué ; tout cela annonce une sorte de providence administrative qui veille sur la Hollande. Dans les autres pays de la terre, celui qui met un frein à la fureur des flots, c’est Dieu ; ici, on dirait volontiers que c’est l’homme.