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seulement trois bouquets, destinés à éclaircir la situation : j’avais calculé la distance qui sépare le Jardin des Plantes de la rue des Boulangers; les dames arrivaient ordinairement à deux heures cinq minutes. A une heure quarante-cinq minutes, je me trouvai à leur porte, et dans ce vilain petit guichet de fer maussade je plantai un de mes bouquets. Le second était à ma boutonnière, m’envoyant ses pâles senteurs d’hiver. Malgré tout, l’odeur m’enivrait comme une personne dont tout le système nerveux est fortement développé. Cette fois je me plaçai avant les dames au milieu des spectateurs, et j’attendis impatiemment leur arrivée, car il pouvait se faire qu’elles ne vinssent pas, la neige tombant avec rigueur; mais la Providence protège les amoureux : je ne tardai pas à rencontrer, comme d’habitude, les yeux de la jeune fille, m’appliquant à y chercher la trace des violettes du guichet. Je raisonnai ainsi : en sortant de chez elles par la neige et le froid, les dames ont dû remarquer ce bouquet de violettes planté dans le guichet, et s’en sont inquiétées. Si les femmes âgées n’y comprennent rien, il n’en sera pas ainsi pour la jeune fille, qui doit s’attendre à mes poursuites; le rapprochement de ce bouquet planté dans un guichet avec les violettes semées dans le cours ne peut lui laisser aucun doute. Et, pour pousser plus loin le symbole, j’affectai pendant le cours de respirer souvent le bouquet de violettes que j’avais conservé. Je m’attendais à un sourire qui me dirait : Je vous comprends ! mais les traits de la demoiselle restèrent calmes et comme ignorans de tous mes bouquets : cependant elle ne put s’empêcher de voir celui que je tenais à la main; j’avais la volonté de le lui faire parvenir, et je renouvelai ma précédente tentative, c’est-à-dire que, mesurant avec habileté ma sortie du cours, j’arrivai à toutes jambes à la porte de la vieille maison de la rue des Boulangers, où je plantai de nouveau mon bouquet dans le guichet. Si elle ne l’a pas vu en sortant, pensais-je, il est impossible qu’elle ne l’aperçoive pas en rentrant.

Hélas ! quand je songe à ce beau temps passé, je ne puis m’empêcher de sourire mélancoliquement. Ces joies émouvantes sont trop courtes, elles devraient durer toujours. Je retrouvai mon ami, qui s’écria : « Ah ! Josquin ! Josquin ! » Je ne pus m’empêcher de rire en regardant sa figure sérieuse. Il m’avoua qu’il avait suivi tous mes gestes à la précédente leçon, qu’il en avait étudié la direction, et que jamais un homme ne s’était démené comme moi dans un endroit public. Il est vrai que, par la position des spectateurs qui m’environnaient, j’étais obligé de me hausser sur ma chaise ou de me pencher tantôt à droite, tantôt à gauche, pour rencontrer les regards de la jeune fille, et que ces manèges se renouvelaient peut-être vingt