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difficiles pour elle, il me répondit froidement que si dans mon pays la loi avait si grand besoin d’être expliquée, il fallait qu’elle fût bien mal faite, ou les juges bien mal choisis. Telle était parfois la bizarrerie de ses aperçus sur un état social si supérieur à celui dans lequel il avait vieilli.

Moustapha avait souhaité connaître notre législation pénale. J’avais donc abordé le régime de nos prisons, et je déroulais avec complaisance la série des améliorations introduites dans ce service par la philanthropie moderne. Quand j’eus achevé, il réfléchit quelques instans, et au moment où j’attendais l’expression de son admiration pour un système si bien conçu : « Ton témoignage, dit-il, m’affermit dans l’opinion où je suis depuis que j’observe ici tes compatriotes, que la France est un si riche pays qu’on ne sait qu’y faire de l’argent. Je vois que, sans parler de ses entreprises en Afrique, elle construit pour les nombreux coquins qu’elle possède d’immenses habitations, qu’elle les nourrit, les vêtit, les couche, les médicamente, leur fait apprendre des métiers, leur assure du travail, leur ménage un pécule, et sans doute il n’y a pas dans son sein d’honnêtes gens en détresse sur lesquels elle n’ait commencé par étendre la même sollicitude. Cela doit coûter des sommes incalculables. La régence d’Alger, que Dieu la protège ! a toujours été trop pauvre pour se permettre de semblables prodigalités. Nous avons été forcés de recourir, pour la répression du crime, à des procédés moins dispendieux. ...» Et du geste il désigna quatre robustes chaoux payés à moins de vingt sous par jour, et dont les bras musculeux annonçaient d’infatigables distributeurs de coups de bâton. — « Mais si nous n’avions pas été réduits à ce régime par l’impossibilité financière de pratiquer le vôtre, nous l’aurions adopté par réflexion. » — Je réprimai un mouvement de surprise. — « Le séjour de prisons aussi bien tenues que celles de France, continua Moustapha, doit être, pour bien des criminels, un avantage plutôt qu’un châtiment. Une pareille critique ne saurait certes s’adresser sans injustice à notre méthode de correction, et tout vieux que je suis, je ne me souviens pas d’en avoir une seule fois vu recevoir l’application avec indifférence. D’un autre côté, dans les cas si fréquens où le travail du condamné est l’unique ressource de sa famille, celle-ci est frappée par la séquestration de son chef autant et quelquefois plus que lui- même : un seul était coupable, et sa peine retombe sur plusieurs innocens! Quand nos chaoux châtient un criminel, la peine est pour lui, pour lui seul; il ne la partage avec qui que ce soit. Enfin le but des lois pénales n’est complètement atteint que lorsqu’elles corrigent le coupable, et tu n’as pas dit qu’on sortît des prisons de France meilleur qu’on n’y était entré. Je n’ai vu d’analogue à ces