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petitesses sons de grands mots, et, drapé en tribun, essaie de continuer devant la postérité le rôle qu’il a joué devant ses contemporains, Saint-Simon, qui a beaucoup d’orgueil, mais point de vanité, nous ouvre son âme avec une admirable franchise et se montre sous les couleurs les moins apprêtées. Tous ses sentimens, toutes ses impressions, il les dit avec une simplicité pleine de noblesse, qui touche et qui désarme. Il fait devant la vérité une telle abnégation d’amour-propre, que l’aveu même de ses faiblesses ne fait pas hésiter sa plume, et qu’il nous confesse jusqu’à ces pensées confuses et honteuses, involontaires soulèvemens de l’égoïsme humain, qui naissent parfois au fond des plus pures consciences. Et dans cette suite de tableaux dramatiques qu’il déroule à nos yeux, dans ces scènes piquantes où la nature humaine, saisie sur le fait, se laisse voir sous tant de jours profonds, l’historien, acteur et témoin tout ensemble, aussi sincère pour lui que pour les autres, devient ainsi un des personnages les plus animés de cette grande comédie qui se joue devant nous.

Deux hommes, très divers d’ailleurs de condition et de talent, ont écrit, presque en même temps que Saint-Simon, sur l’histoire du siècle de Louis XIV. Il a manqué à l’un et à l’autre ces deux grandes qualités de l’historien, si éminentes chez Saint-Simon, la droiture morale et l’indépendance de l’esprit. Aussi quel parallèle établir entre les Mémoires et cette insipide chronique rédigée par Dangeau? Songerait-on même à la rappeler, si le duc de Saint-Simon ne lui avait fait l’honneur de l’annoter de sa main : si bien qu’on n’ouvre guère le texte que pour y chercher la glose, charmante broderie cousue par un caprice de l’artiste à l’habit fané du courtisan? Quant à l’œuvre de ce brillant génie qui a rempli de son nom le XVIIIe siècle, et qui semble avoir eu le don d’embellir tout ce qu’il touche, est-ce la muse de l’histoire ou celle de la poésie qui doit la revendiquer? Dans ces pages étincelantes où Voltaire trace le tableau d’un grand règne, n’est-ce pas trop souvent l’imagination qui tient le pinceau? N’est-ce pas un panégyrique qu’a fait, qu’a voulu faire l’auteur du Siècle de Louis XIV? Et faut-il s’étonner que son œuvre ait si peu de traits communs avec l’œuvre de Saint-Simon?

Tout diffère d’ailleurs entre les deux historiens. L’un, homme de lettres, naturellement jaloux de la gloire des lettres, aimant à honorer à la fois le siècle où elles ont brillé le plus et le souverain qui les a le plus protégées, écrit l’histoire d’un temps qu’il n’a point vu, et qui lui apparaît sous le prestige encore vivant de poétiques souvenirs. Courtisan par nature de toutes les puissances et de toutes les gloires, s’appliquant par orgueil patriotique à taire le mal pour ne dire que le bien, et plus préoccupé d’ailleurs de faire une œuvre d’art qu’une œuvre de conscience, il regarde tout et s’étudie à tout