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se mêler des choses politiques, Saint-Simon n’ait pas continué dès-lors à prendre aux affaires une part considérable. Bien qu’il demeure initié à tout ce qui se fait d’important, consulté même dans toutes les conjonctures graves ou difficiles, son rôle en effet, depuis ce début de la régence, va de jour en jour s’amoindrissant. La bizarrerie de ses idées, l’âcreté de son humeur y étaient pour beaucoup sans nul doute, mais la faute n’en fut-elle pas à ses qualités autant qu’à ses défauts? Il y a peut-être justice à le reconnaître. Trop désintéressé pour aspirer au pouvoir dans une pensée personnelle, trop honnête pour faire même le bien par des moyens impurs, il laisse la voie libre aux ambitieux qui, habiles à exploiter la faiblesse et les passions du prince, vont se partager les honneurs et vendre la France au plus offrant.

Les temps ont changé : Saint-Simon est resté le même. Pas plus qu’il n’applaudissait à l’intolérance d’hier, il n’applaudit à la licence d’aujourd’hui; mais tristement convaincu, en face des orgies où s’avilit le régent, de l’impuissance de ses paroles, il condamne bientôt son amitié au silence. Que pourrait la voix de la s gesse dans le délire universel? Que peut davantage le cri du patriotisme dans ce débordement de toutes les corruptions ?

La politique de la France allait subir une déviation déplorable. Les intrigues de l’Angleterre, les susceptibilités de l’Espagne, plus que tout le reste l’ambition effrénée de deux ministres rivaux, tendaient à faire abandonner au régent cette grande politique de Louis XIV qui, ajoutant les liens de famille aux intérêts nationaux, avait noué entre l’Espagne et la France une alliance que tout conseillait de rendre indissoluble. Tout hostile qu’est Saint-Simon aux idées et aux traditions du dernier règne, sa haute raison ne s’est pas méprise sur la sagesse de cette politique, et son honnêteté se révolte contre les intrigues qui vont sacrifier aux ennemis de la France ses plus chers intérêts. Mais qu’importent les intérêts de la France? Dubois aspire à la pourpre, et la pourpre est à ce prix.

Une lutte de la raison contre la folie, de la force contre la lâcheté, du patriotisme contre la trahison, lutte courageuse et dévouée, stérile en résultats, féconde seulement en jalousies et en ressentimens, voilà ce que fut toute la vie de Saint-Simon sous la régence. Bientôt cette vertu farouche et cette raison sévère portèrent ombrage au favori. Saint-Simon voit diminuer son crédit : le dégoût le gagne, et cette âme énergique commence à sentir les atteintes du découragement. Du sein du conseil de régence de plus en plus annulé par le premier ministre, il voit passer à peu près inactif les dernières années de ce triste régime. Plus d’une fois il avait décliné l’honneur de hautes fonctions. Dans cette fièvre d’agiotage inoculée par Law au gouvernement et à la France, il n’eût eu qu’à ouvrir la