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de prétentions aristocratiques et de sympathies populaires, confus assemblage de souvenirs féodaux et d’aspirations libérales, ces plans avaient rencontré chez le duc de Saint-Simon une chaleureuse adhésion. Relever la noblesse de son abaissement, lui rendre dans les affaires la place usurpée par les hommes de plume et de robe, c’étaient là des projets qu’il avait de tout temps caressés; mais ce qu’il faut ajouter pour être juste, c’est que, associé aux idées aristocratiques de ses amis, il l’est aussi à leurs idées généreuses de progrès et de bien public; c’est que le cri d’un peuple décimé, affamé, écrasé par la guerre et par l’impôt, a déchiré aussi son cœur, et que ce qu’il entrevoit enfin par-delà tous les systèmes et toutes les utopies, c’est un avenir de paix et de réparation sous un prince nourri de cette grande maxime que « les rois sont faits pour les peuples et non les peuples pour les rois. »

Illusions, je le veux! chimères de beaux-esprits, j’en conviens! Mais qu’on ne s’y trompe pas : il y a là le premier tressaillement d’un monde qui s’éveille; il y a là la première lueur de l’esprit naissant d’un autre âge. Ces grands seigneurs patriotes, ces théoriciens un peu bizarres, qui d’un côté reconstruisent l’édifice du passé, et de l’autre ouvrent la porte aux innovations à venir, qui donnent une main à la féodalité et tendent l’autre à la liberté moderne, ne les raillons pas, sachons les honorer plutôt. Saluons en eux les précurseurs des publicistes plus hardis qui vont tout à l’heure promulguer la loi d’un ordre nouveau.

Quand la mort inopinée du dauphin appela le duc de Bourgogne à recueillir directement la couronne, de brillantes perspectives parurent s’ouvrir à l’ambition de Saint-Simon et de ses amis, et de légitimes espérances sourire à leurs desseins; mais « Dieu, comme il le dit, souffle sur les projets des hommes, » et jamais parole ne fut plus rudement justifiée. Entrée une fois dans la demeure royale, la mort s’est assise au foyer comme un hôte funeste, et n’en sortira que les mains pleines. Bientôt elle enlève cette charmante princesse, l’idole de la cour, les délices du vieux monarque, celle qui, comme un rayon de printemps, égayait la tristesse de ses derniers jours, et seule dissipait l’insupportable ennui qui le dévore. La terre la recouvre à peine, et le duc de Bourgogne tombe frappé près d’elle. Et, du coup s’évanouissent les rêves d’avenir, les promesses de bonheur, tant d’espérances que la France avait mises sur cette tête si chère, et qui l’ont consacrée dans son souvenir.

Abattu, découragé, tenté un instant de quitter la cour, Saint-Simon y fut retenu surtout par un généreux sentiment. Dans sa douleur aveugle, l’opinion cherchait une victime : un cri s’élevait contre le duc d’Orléans, que n’accusaient que trop de funestes