Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’entre eux ne s’étaient jamais vus si bien traités : la charité publique leur avait fait des loisirs qui succédaient doucement à de pénibles émotions et à une vie de dur travail. Une vieille femme, à laquelle on demanda si elle ne s’ennuyait pas, répondit avec une naïveté touchante : « Comment voulez-vous que je m’ennuie ici ? je n’ai rien à faire. » La plupart des fileuses de laine avaient cependant repris leurs occupations ordinaires ; des rouets en mouvement palpitaient sous leurs doigts. Quelques-unes de ces femmes avaient cette beauté du malheur qui pénètre l’âme. Leur costume était rustique, mais convenable. Les dames de la ville avaient tout d’abord envoyé des objets de leur garde-robe pour habiller ces infortunées : le président de la commission jugea avec un goût parfait que ces vêtemens de luxe, bien loin de rehausser la condition de ces pauvres villageoises, feraient d’elles les caricatures vivantes de la bienfaisance publique. La plupart de ces femmes avaient des enfans, quelques-unes étaient même accouchées depuis la catastrophe. Ces pauvres petites créatures aux yeux bleus, aux cheveux blonds, à la figure ignorante du mal, étaient caressées par leurs mères avec un orgueil et une tendresse qui n’avaient rien d’étudié. Dans toutes les conditions de la vie, dans tous les rangs de la société, la femme ne se montre jamais si bien mère qu’après un danger qui a mis son existence en question et celle de son enfant. L’église, convertie en lieu d’asile, était appropriée, non sans art, à la nouvelle destination, et, si on l’ose dire, au culte nouveau qui venait de s’y établir. Les exercices de la journée étaient marqués par le son de la cloche : l’ordre le plus parfait régnait, et le lien de la discipline était visiblement la reconnaissance. Une partie du bâtiment avait été préparée pour la nuit ; les hommes et les femmes couchaient séparément dans des cases, sur un lit de paille. Dans cette église, d’où le service religieux s’était retiré pour céder la place au soulagement des misères humaines, le christianisme en était revenu à l’histoire de la crèche. Des murs sanctifiés naguère par la prière, sanctifiés maintenant par la bienfaisance publique, des victimes rachetées par le sentiment qui honore le plus les civilisations modernes, des souffrances consolées, tout cela était bien placé dans la maison de celui qui préférait la miséricorde au sacrifice.

Le lendemain de notre visite aux inondés, nous nous rendîmes par le chemin de fer sur le théâtre même de l’inondation. Par le même convoi, des femmes que nous avions vues la veille dans l’église d’Utrecht retournaient à Venhendal ; elles allaient retrouver leurs pauvres maisons et s’assurer par elles-mêmes de l’étendue des désastres. Le chemin de fer avait été lui-même frappé et rompu par les vagues : la circulation n’était rétablie crue depuis une semaine. Arrivé