Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/998

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

élèvent toujours plus haut vers le ciel sa couronne. Ce sens religieux du passé, uni aux tendances les plus libérales, aux plus militantes aspirations vers l’avenir, donnent, selon moi, à la physionomie d’Arnim une sérénité lumineuse qui le fait ressembler à cet Apollon grec chez lequel se confondent les attributs des deux plus beaux âges de la vie. Il voit crouler le moyen âge et tomber les anciennes institutions sous les coups de la révolution française ; pour lui, ce cataclysme annonce l’ère d’une poésie nouvelle, et les faits qui se déroulent ne sont à ses yeux que des transformations de la même idée. « Étrange prétention, de vouloir que tout périsse, parce que nous appartenons à la race humaine, qui ne fait elle-même que passer ! De ces formes que les révolutions emportent, ne reste-t-il donc rien ? De ce que nous devons mourir un jour, s’ensuit-il que nous n’ayons jamais vécu ? Avoir fait un, ne fût-ce qu’un instant, avec ce monde, qui demeure éternel et se régénère sans cesse, — ce n’est point là un simple symbole de l’éternité, mais bien l’éternité même, et cela seul suffit pour combler tous mes pressentimens de jeunesse, de printemps et d’amour. » Que l’esprit des temps nouveaux éclaire le passé et fasse pénétrer jusque sous le plus humble toit la liberté et l’abondance, sa poésie ne rêve pas d’autre âge d’or. Elle ne voit d’autre cité divine que ce monde « dont le tombeau du Christ occupera le centre, bien loin de ceux qui n’auront gardé que les tendances du passé dans leurs âmes, semblables à une cave où les décombres tiendraient la place d’un vin généreux. » Inutile d’ajouter que le sentiment religieux proprement dit trouve au besoin dans Arnim un interprète éloquent et convaincu, et que ce rare esprit, même en ses imaginations les plus fantasques, ne se laisse jamais distraire du point de vue qu’il se propose, à la recherche de la vérité humaine ou révélée. Je n’en veux d’autre exemple que ce passage qui termine un de ses romans : « Pensée auguste, être éternel, invisible soleil, en qui les actions mûrissent, en qui, de printemps en printemps, les évolutions s’accomplissent, ne nous diras-tu pas quel est ton siège et quelle est ta source, rayon partout présent qui règnes à la fois sur les hauteurs dorées, et brilles sur les mers et dans la profondeur des abîmes ? Ce corps fragile et périssable est le signe que tu revêts, signe divin sans doute, mais qui ne saurait être sans toi, car tout ce qu’il fait de bon vit en Dieu, et toutes ses pensées généreuses sont des émanations de Dieu, qui se révèle ainsi à tous, et, comme la chaleur, pénètre cette froide terre, l’appelant à une nouvelle alliance. »

C’est un fait digne de remarque que les trois maîtres de l’école romantique, Arnim, Novalis et Tieck, ont dû le jour à l’Allemagne du nord, comme si le génie, par ses contradictions avec le sol natal,