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I. – PROFIL DE L’HOMME ET DU POETE.

En tête des œuvres complètes d’Arnim, publiées il y a quelques années par Wilhelm Grimm, figure le portrait du poète, noble et gracieux type ou l’expression mâle de Schiller semble s’unir à l’élégance aristocratique de Byron. Cet œil intelligent et pur qui plonge dans l’océan de la nuit comme pour en scruter les profondeurs, ce nez d’aigle dont les narines se dilatent au souffle de la jeunesse et de la vie, cette bouche où s’épanouissent la franchise et la bienveillance, ce front ouvert et loyal où se dressent d’épais cheveux noirs, — sont autant de traits qui répondent à l’idée qu’on se fait de cette nature fiévreuse et tourmentée qu’une incessante aspiration dévore. Ces strophes que je vais essayer de traduire me livrent le secret de son âme, et Arnim lui-même y caractérise son état :

Lys superbe, lys superbe,
Avec l’air d’un jeune roi,
Tu te balances dans l’herbe ;
Lys superbe, lys superbe,
Nul n’est plus brillant que toi !

Cèdre grand, cèdre sublime,
Tu montes jusques aux cieux ;
Mais au-dessus de ta cime,
Cèdre grand, cèdre sublime,
Plane l’aigle aventureux.

Nue épaisse, nue hardie,
Tu passes l’éclair au flanc,
Et promènes l’incendie,
Nue épaisse, nue hardie,
Sur le bois et sur le champ.

Flamme sainte, flamme altière,
Que de lys jetés à bas,
Que de cèdres en poussière !
Flamme sainte, flamme altière,
Sais-tu toi-même où tu vas ?

« Que ne donnerais-je pas, disait-il souvent, pour posséder le don de saisir mes sensations au vol, et de fixer en rhythmes à l’instant tout ce que je perçois ? Il me semble que j’écrirais alors des poésies qui remueraient le monde ; mais, hélas ! avec la peine qu’il me faut prendre pour la retourner tant bien que mal, je suppose que le meilleur de ma pensée s’en ira avec moi sous la terre. » Impossible de mieux se définir. Pour Arnim, en effet, la poésie ne fut guère qu’une source vive jaillissant du cœur dans un élan spontané. Le travail austère et contenu par lequel l’esprit se rend maître d’un sujet, et