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qui ne songeait pas encore à elles. La guerre contre Carthage amena les Romains en Sicile, où se trouvaient les villes grecques les plus grandes et les plus florissantes. Dans l’expédition contre Philippe, on vit les Grecs chez eux, on connut Athènes. Ce fut en détruisant et en pillant leurs villes que les Romains commencèrent à entrer en rapport avec les Grecs. Et quand M. Fulvius Nobilior dédia un temple, qu’il avait orné de statues transportées de l’Étolie, à Hercule Musagète (Hercule conduisant les Muses), il sembla vouloir exprimer par cette dédicace ce qu’il faisait lui-même. C’était en effet la force violente dont Hercule était le symbole qui entraînait loin de leur patrie les chefs-d’œuvre des arts, dons sacrés des Muses.

Dès lors l’usage s’établit de ces vols de la conquête si souvent renouvelés depuis, et dont le dernier atteignit Rome même au commencement de notre siècle. Deux mille ans plus tôt, Rome en avait donné l’exemple. Métellus le Macédonique apporta de Macédoine les cavaliers en bronze, œuvre de Lysippe, qui étaient les images des généraux d’Alexandre tués au passage du Granique. On croit avoir retrouvé un des chevaux il y a quelques années ; on le voit au Capitole : c’est un admirable travail. Ce cheval grec est d’une race dont la finesse contraste avec le puissant quadrupède romain qui porte l’empereur Marc-Aurèle. La sculpture n’est pas moins fine et moins grecque que le cheval lui-même. Avant Métellus, Marcellus avait apporté dans Rome les statues et les tableaux enlevés à Syracuse, et d’autres généraux, les dépouilles de Tarente et de Capoue. La spoliation des temples révolta d’abord le sentiment religieux des Romains ; Tite-Live exprime encore cette indignation, qui honora le sénat le jour où il désapprouva hautement Fl. Flaccus, qui avait dérobé les tuiles de métal du temple de Junon Lacinia chez les Brutiens, et on crut que le dieu avait puni Flaccus de ce crime en troublant sa raison.

Toutefois ces nobles protestations n’eurent pas de suite, et les spoliations continuèrent. Sylla dépouilla le temple d’Apollon de Delphes et celui d’Esculape à Epidaure, il fit venir d’Athènes les colonnes du temple de Jupiter Olympien pour orner le Capitole. Varron et Murena scièrent à Sparte des murs couverts de fresques, et emportèrent les fresques. Rome se mit ainsi par la force en possession des arts de la Grèce. Les statues de Phidias, de Scopas, de Praxitèle, les tableaux de Timante et d’Apelle, ornèrent ses portiques. Elle fut dès lors ce qu’elle est encore aujourd’hui, un musée de chefs-d’œuvre. Il y eut aussi des galeries particulières. Cicéron écrit sans cesse à Atticus de lui envoyer d’Athènes des statues pour orner sa bibliothèque,