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les troupes, sans oublier les plaisirs de la cour, où le cardinal, en pleine pénurie du trésor, avait imaginé d’importer l’opéra, dont le premier établissement ne coûta pas moins de 600,000 écus.

D’Émery, à bout de voies, commença par exhumer d’anciens édits oubliés, rendus sous le règne de François Ier pour interdire, dans l’intérêt de la défense de Paris, toute construction nouvelle dans certains faubourgs ; or, la ville ayant doublé depuis cette époque, en confisquant ces propriétés, le fisc avait plusieurs millions sous la main, et il crut faire preuve de modération en transigeant à deniers comptans avec les propriétaires désespérés. En même temps la reine se rendait au parlement pour faire enregistrer, d’exprès commandement du roi, un édit qui contraignait tous les riches bourgeois de Paris et des bonnes villes à acquérir, moyennant un taux fixé, une certaine quantité de rentes sur les aides et les diverses fermes, mode original pour transformer un emprunt forcé en placement. Toutes ces mesures cependant ne suffisaient pas à combler un déficit dont le gouffre se creusait sans cesse, et force fut bientôt à un roi de neuf ans de remonter sur son lit de justice dans le plus menaçant appareil de sa puissance pour ordonner, au milieu de l’émotion publique, dont le flot montait sans cesse, l’enregistrement d’innombrables édits bursaux, les uns atteignant toutes les transactions commerciales à leurs sources, les autres créant quantité de charges administratives ou judiciaires, inutiles lorsqu’elles n’étaient pas ridicules. Huit jours après, comme pour engager plus profondément encore les membres de toutes les compagnies souveraines dans le grand mouvement qui agitait déjà la bourgeoisie, on rattachait le maintien du droit auquel ils tenaient le plus, celui de transmettre leurs charges, à la perte totale de leurs gages durant quatre années !

D’Emery pouvait-il faire beaucoup mieux dans la situation si peu avancée de la richesse publique et dans celle plus arriérée encore de la science ? Cela est douteux. Il y avait de la justice à ménager le peuple pour atteindre la bourgeoisie, et de l’habileté à obtenir volontairement des capitaux en créant des charges nouvelles, expédient qui fut le plus grand moyen financier de la vieille monarchie, et qui n’aurait pas, je le crains fort, un succès moindre de nos jours, si l’on osait encore y recourir. Mais si d’Émery faisait peut-être le métier de surintendant en proposant de chercher l’argent là où il était, Mazarin ne faisait pas celui de premier ministre en permettant de telles mesures. Multiplier les coups d’état judiciaires en même temps qu’on attaquait les intérêts de la bourgeoisie parisienne, c’était placer de sa propre main toute la magistrature du royaume à la tête d’une agitation qui se révélait sous les formes les plus menaçantes parmi les commerçans et les rentiers, dans les parloirs des marchands