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n’existait aucunement au début de la régence, et le choix du cardinal fut la conséquence naturelle d’un système spontanément adopté par la régente, bien loin d’être l’effet d’un sentiment personnel. Ce ne fut ni Beringhen ni saint Vincent de Paul qui frayèrent à Mazarin le chemin de la toute-puissance : si la reine l’y fit monter, c’est qu’elle comprit par une sorte d’intuition soudaine le péril qu’il y aurait pour l’avenir de son fils à réagir contre l’œuvre de Richelieu et à remettre la royauté sous le joug de princes et de grands seigneurs qui ne savaient guère que l’exploiter avec un égoïsme cynique. Parvenue sur ces sommets du haut desquels la vue s’étend et le cœur se dilate, Anne lut ses devoirs de reine et de mère dans l’éclatante histoire de la monarchie, continuée par tant de princes si opposés d’humeur et de génie. Cette femme paresseuse et mobile, qui avait eu peut-être de grands torts dans le passé, qui était destinée à commettre encore beaucoup de fautes, eut, au jour décisif de sa vie, la lucide perception de son intérêt véritable. Immolant, sans s’en rendre d’ailleurs parfaitement compte, ses amitiés et ses ressentimens à ses devoirs, comme durant vingt-cinq ans son époux leur avait sacrifié ses plus vives antipathies, elle prononça dans son cœur de mère le mot immortel de Louis XII.

Quel était en effet, au milieu des agitations inséparables d’une régence, l’intérêt sérieux de la monarchie ? N’était-ce pas d’assurer l’indépendance et la liberté d’action de la couronne, d’une part contre le duc d’Orléans, oncle du roi, que sa vie semblait avoir placé jusqu’alors en état permanent de conspiration, de l’autre contre la maison de Condé, alors représentée par un vieux prince cupide, derrière lequel se montrait un jeune homme aussi avide de puissance que de gloire ? Constituer un ministère qui ne dépendît ni de Monsieur, ni de M. le Prince, maintenir dans une situation réservée les turbulens bâtards de Vendôme, empêcher les maisons de Lorraine, de Bouillon, de Rohan, de Nemours, d’imposer à la royauté leurs exigences et leurs exclusions, en reprenant les traditions de leurs pères, — c’était là le premier besoin du pays, l’œuvre dans laquelle l’intérêt national venait se confondre avec celui de la monarchie. Or le ministre le mieux placé pour la suivre était évidemment un homme sans lien avec les factions princières, étranger aux grandes familles, quoiqu’au niveau des plus hautes têtes par l’éclat de sa dignité, et qui n’avait rien à attendre de leur concours, non plus que rien à craindre de leur abaissement.

Il n’y eut donc jamais de choix plus rationnel, comme on dirait aujourd’hui, que celui de Mazarin, cardinal italien, naturalisé sujet français par grâce spéciale du roi. Outre que ce choix était bon par les raisons générales que je viens de dire, il avait l’avantage de rassurer