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II

La mort même n’avait pu précipiter Richelieu de ce sommet dont il avait si longtemps foudroyé plutôt que gouverné les humains[1]. Louis XIII donna jusqu’à sa dernière heure l’admirable exemple d’immoler les répugnances de l’homme aux devoirs du roi. Toutes les dispositions du terrible mort furent respectées comme l’auraient été ses ordres. « La cour demeura, dit un grand observateur contemporain, aussi soumise aux volontés du cardinal qu’elle l’avait été durant sa vie. Ses parens et ses créatures y eurent les mêmes avantages qu’il leur avait procurés ; il disposa des principales charges de la monarchie, et fut assuré de régner bien plus absolument après sa mort que le roi son maître n’avait pu le faire depuis trente-trois ans qu’il était parvenu à la couronne[2]. »

Si Louis XIII, quelques semaines après le décès de son ministre, rappela à la cour Gaston d’Orléans, son frère, et les princes de la maison de Vendôme, ce furent là des actes de miséricordieuse piété accomplis par un roi mourant en vue de l’éternité qui s’avançait plutôt que des indices d’une autre politique. Les prisons s’ouvrirent aussi devant un certain nombre de personnages qu’on y tenait renfermés moins par crainte que par oubli ; mais si l’on s’en rapporte à un autre témoin des événemens, le roi octroya cette sorte d’amnistie par un motif fort original, et qui excluait à coup sûr toute pensée de clémence. « Chavigny et le cardinal Mazarin prirent le roi par son faible, qui était l’avarice, et lui représentèrent que les prisonniers faisaient une dépense extrême à la Bastille, et que, n’étant plus en état de cabaler, ils seraient aussi bien dans leurs maisons, où ils ne coûteraient rien à sa majesté[3]. »

En même temps que Richelieu avait disposé, pour ses amis et pour les membres de sa famille, de tous les grands gouvernemens et des principales charges de la couronne, il avait constitué le conseil destiné à lui survivre et à continuer l’application de sa pensée. Le cardinal Mazarin, fixé en France depuis 1639, avait été fait ministre d’état ; sous lui travaillaient Desnoyers et Chavigny, puis, avec une influence moindre et une altitude plus subalterne, le chancelier Seguier et les deux autres secrétaires d’état, MM. de Brienne et de La Vrillière. De tous ces hommes on pouvait répéter le mot que Louis XIII disait souvent de l’un d’entre eux : « Si le cardinal se faisait Turc, Desnoyers prendrait bien vite le turban. »

  1. Le cardinal de Retz.
  2. Mémoires du duc de La Rochefoucauld, année 1643.
  3. Mémoires du comte de La Châtre.