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probablement déclinées, finit par disposer de toutes les ressources de la France avec une sécurité que n’avait jamais possédée Richelieu. Le cardinal Mazarin a provoqué les appréciations les plus contradictoires, et ceci ne pouvait manquer d’arriver, car si, d’une part, son nom se rattache aux choses les plus considérables de son temps, de l’autre une popularité universelle est acquise aux nombreux monumens littéraires où toute une génération a consigné le souvenir de ses ressentimens et laissé la trace de ses haines. Le négociateur des traités de Munster et des Pyrénées se montre à la postérité à travers la volumineuse collection des mazarinades, La fronde s’est vengée de son heureux vainqueur en écrivant sa vie, et les spirituels héros de cette révolution avortée ont été mieux servis par leur plume que par leur épée. D’ailleurs, il faut bien le dire, ce ne sont pas seulement les ennemis du cardinal qui ont compromis sa mémoire vis-à-vis de la postérité : les hommes associés à sa cause n’ont guère rendu meilleur témoignage de ses qualités personnelles, et nul chef de gouvernement n’a compté moins d’amis parmi ses propres créatures. Que le cardinal de Retz amoindrisse l’homme dont l’habileté le contraignit à passer dans le dénûment et dans l’exil une vie qu’il aspirait à rehausser de toutes les splendeurs de la fortune et de la puissance ; que Mme de Montpensier fasse grimacer la figure du ministre contre lequel elle livra des batailles pour le punir de n’avoir pas fait de son mariage la plus grande affaire de la monarchie ; que Pierre Lenet, un fidèle serviteur du prince de Condé, que Guy Joly, un ami non moins dévoué du coadjuteur, que d’autres encore, engagés dans les débats du parlement et les entreprises des princes contre le représentant de l’autorité monarchique, peignent celui-ci sous les plus tristes couleurs, cela n’a rien que de naturel, et nous savons aujourd’hui mieux qu’en aucun temps de quel œil l’esprit de parti voit les personnes, et avec quelle modération il les juge ; mais le repoussement inspiré par Mazarin se reproduit avec une expression presque aussi vive dans les écrits laissés par la plupart des hommes demeurés fidèles à la régente et liés à la politique du cardinal. Le comte de Brienne, qui exerçait sous lui la charge de secrétaire d’état, le marquis de Montglat, grand-maître de la garde-robe, toujours inoffensif et toujours dévoué à la reine, parlent de son ministre en des termes qui diffèrent peu de ceux qu’emploient les ennemis connus de Mazarin. Dissimulation et fausseté, égoïsme et avarice, ce sont là des imputations qui se rencontrent aussi fréquemment dans les écrits des serviteurs d’Anne d’Autriche que dans ceux des hommes de la fronde. Il n’est pas jusqu’à l’inoffensive Mme de Motteville qui, à travers les réserves de son dévouement à sa royale maîtresse, ne laisse percer à chaque page la répugnance que lui inspire l’homme