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précédé M. Mitchel, M. Kevin O’Doherty le suivit de près ; mais, de toutes les émigrations européennes, l’émigration irlandaise est la moins retentissante. Les Américains n’ont pas décerné à ses chefs les ovations dans lesquelles ils se complaisent, et sauf M. Meagher, homme très-éloquent, il est vrai, et le mieux doué de tous ces proscrits, qui a eu l’honneur de se faire applaudir à outrance par les citoyens de New-York et de Boston, ils n’ont pas été célébrés avec le même enthousiasme que les réfugiés italiens et hongrois. L’indifférence du public européen, que nous avons signalée, s’est retrouvée chez un peuple essentiellement marchand et anglo-saxon, qui, sans avoir de raisons de haïr l’Irlande, ressent cependant pour elle des antipathies de race et de caractère. Leur cause n’a pas excité plus de sympathie aux États-Unis qu’en Europe, et les réfugiés irlandais y sont relativement isolés. En vain on leur montre l’espérance de voir une nouvelle Irlande se former en Amérique ; ils répliquent, comme M. Mitchel, que cela ne répond à aucune pensée dans leur esprit, et qu’il n’y a qu’une Irlande. Ils n’ont pas non plus sur leurs compagnons d’exil l’influence qu’exercent les réfugiés allemands ou italiens sur leurs concitoyens. Les Irlandais continuent en Amérique à vivre sous l’influence du clergé romain, et de même qu’à Ballingary ils abandonnèrent Smith O’Brien, ils sont toujours prêts à déserter, à la voix de leurs prêtres bien-aimés, les salles où parlent et gesticulent avec toute leur éloquence celtique M. Meagher ou M. O’Reilly. La Jeune-Irlande ne peut avoir d’action que lorsqu’elle excite chez les Irlandais la haine de l’Angleterre ; aussitôt que l’Angleterre n’est plus en vue, pour ainsi dire, le clergé reprend tout son pouvoir. Aussi les membres de ce parti violent sont-ils condamnés à une impuissance absolue. On put bien voir, il y a deux ans, quelle autorité exercent les prêtres sur l’émigration de l’Irlande, lors des émeutes excitées par la présence du nonce du pape, Mgr Bedini. Tandis que les Italiens et les Allemands fomentaient ces émeutes, les Irlandais se réunissaient autour des chapelles catholiques, tout prêts à prendre parti pour Mgr Bedini. Dépourvue de l’influence catholique qu’elle a répudiée, dépourvue d’idées politiques, délaissée par l’opinion, n’excitant que de rares et tièdes sympathies, la Jeune-Irlande achève d’user son existence dans une inaction forcée ou dans une activité stérile. Si jamais, comme le prédit M. Mitchel, les émigrans celtiques doivent opérer un retour des Héraclides, ce retour s’opérera avec la croix et la bannière catholique en tête, avec les encensoirs fumans et au chant des cantiques, mais non pas sous la bannière de M. Mitchel, sous l’égide de M. Meagher, ni même sous l’écusson aristocratique de Smith O’Brien.

De l’esprit, de l’éloquence, de l’imagination, une gaieté nerveuse et hystérique, un courage maladif, pas une idée pratique, pas une