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condamnés à mort pour la forme, à la transportation en réalité. Des mandats d’arrestation ont été lancés contre O’Gorman, O’Reilly et O’Doheny, qui sont parvenus à s’échapper ; d’autres coupables sont emprisonnés et attendent leur jugement. Tout est fini, et la révolution peut continuer sur le continent ; encore une fois l’Angleterre est sauvée.

Sous le coup de tant d’émotions contraires et violentes, la santé naturellement délicate de M. Mitchel s’était sensiblement altérée. Un jour le docteur Hall entra dans sa chambre et lui déclara que sous le climat des Bermudes il n’y avait pour lui aucune chance de guérison, que son état empirerait de jour en jour. « N’y a-t-il donc pas d’espoir ? demande M. Mitchel. — Si, relativement à vous je crois qu’on peut obtenir quelque chose : demandez sans retard à changer de lieu d’exil. — Mais, répondit-il, depuis qu’on m’a déclaré traître, je n’ai jamais imploré aucun genre d’indulgence. Je ne puis faire aucun appel ad misericordiam. » Le docteur, guidé par son humanité, trouva un moyen jésuitique de tirer le prisonnier d’embarras, « Non sans doute, dit-il, vous ne le pouvez pas ; mais écrivez au gouverneur, informez-le de votre état de santé et appuyez-vous sur mon témoignage. — Mais pourquoi ne lui diriez-vous pas tout cela vous-même ? — Je ne le puis, je ne le puis ; les formes doivent être observées. Je ne puis intervenir officiellement avant que vous ayez régulièrement informé le gouverneur de l’état de votre santé. — Non, docteur, je vous suis reconnaissant, mais jamais je n’implorerai la clémence du gouvernement anglais. Je ne donnerai pas un pareil démenti à ma vie passée et à mes opinions présentes ; je ne mangerai pas de la boue. » L’excellent et sensible Carthaginois fit mine de se retirer ; tout à coup il se retourna brusquement, les larmes aux yeux, et frappant sur l’épaule du prisonnier : « Ainsi vous allez vous laisser mourir, lorsque vous pourriez si aisément obtenir d’être transporté ailleurs, sous un climat plus sain ? Écrivez au gouverneur, une simple lettre suffira. Je sais qu’il ne demande pas mieux que de faire tout ce qu’il pourra en votre faveur. » M. Mitchel consentit enfin et demanda à être transporté sous un autre climat ; le gouvernement anglais lui accorda cette demande avec empressement. Le Cap était la colonie désignée pour le séjour de M. Mitchel.

Après avoir passé environ huit mois aux Bermudes, M. Mitchel partit pour le lieu de sa nouvelle destination en avril 1849, sur le vaisseau le Neptune, faisant toute sorte de rêves de vie pastorale que le commandant du navire dissipa bientôt en lui apprenant que la colonie était en état d’insurrection, qu’elle refusait de recevoir les convicts envoyés par le gouvernement, que sir Harry Smith, le gouverneur, avait demandé des instructions, et que lord Grey avait répondu par l’ordre positif de débarquer la cargaison de trois cents