Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/912

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’avait pas encore éclaté, il fallait la prévenir s’il était possible, et à son instigation peut-être le gouvernement anglais prit des mesures prudentes. Au mois d’avril, sir George Grey présenta au parlement un projet de loi relatif au crime de haute trahison. Cet acte portait que quiconque lèverait l’étendard de la révolte contre la reine, ou refuserait de reconnaître son titre de souveraine de l’Irlande, ou exciterait autrui par la parole ou par la presse à ne pas le reconnaître, se rendrait coupable du crime de haute trahison et serait passible des châtimens portés contre ce crime. L’acte de sir George Grey coupait le mal dans sa racine, car à moins que l’insurrection n’eut rassemblé toutes ses forces et ne fût prête immédiatement à agir, il rendait impossible tous ses préparatifs, il annihilait la presse et les clubs, et pouvait jour par jour et pour ainsi dire heure par heure détruire cette insurrection en germe, par détails, tantôt en enlevant un de ses chefs, tantôt en détruisant un de ses organes ou en emprisonnant un de ses partisans. C’est aussi ce qui arriva. Trois des chefs de la propagande révolutionnaire, Smith O’Brien, Meagher et Mitchel, furent arrêtés et mis en jugement pour crime de sédition. M. Mitchel fut plus particulièrement que les deux autres, paraîtrait-il, l’objet de l’attention de lord Clarendon ; Smith O’Brien et Meagher, jugés par des jurys réguliers, furent acquittés. M. Mitchel accuse lord Clarendon d’avoir choisi pour le juger un jury particulier, d’où il avait exclu arbitrairement tous les catholiques et tous les protestans qui n’étaient pas ses ennemis. Faute de renseignemens suffisans, nous laisserons prudemment à M. Mitchel la responsabilité de son accusation. Le prévenu fut jugé, convaincu du crime de félonie et condamné à quatorze ans de transportation.

M. Mitchel, homme violent et instruit, haineux et intelligent, résolut dès lors d’écrire un journal où il conserverait, pour l’édification de la postérité, le récit de ses souffrances. Si tel a été son but, il l’a complètement manqué. Son livre n’obtiendra jamais le succès d’émotion qui n’a manqué ni au journal de Silvio Pellico, ni même au récit d’Andryane. Ln vérité, ce livre plaide pour l’Angleterre, il fait l’apologie de son humanité et de la douceur de son gouvernement. Ces féroces Carthaginois, cette tyrannique reine de Carthage, ces infâmes fonctionnaires anglais, ministres, officiers de marine, constables, policemen, geôliers même, sont bien les plus honnêtes gens du monde ; doux, polis, affables, prévenans, ils n’ont donné le droit à M. Mitchel de leur reprocher ni un mauvais traitement, ni une injure, ni même un mot blessant. Que M. Mitchel haïsse l’Angleterre, c’est son droit ; mais qu’il haïsse ses habitans, en vérité c’est à n’y rien comprendre. Bienheureux a-t-il été d’être soumis au pouvoir d’un gouvernement orgueilleux sans doute et fréquemment injuste, surtout envers l’Irlande,