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Et qu’on ne s’imagine pas que la dialectique, n’est qu’un élan passager de la pensée : c’est une méthode scientifique, susceptible d’une application rigoureuse et sévère, c’est au fond la méthode de tous les grands métaphysiciens ; mais tantôt elle est appliquée par un Platon, un Descartes, un Leibnitz, tantôt par un Plotin, un Spinoza, un Hegel, de sorte qu’elle porte également dans ses flancs, selon qu’on en fait ou non un légitime usage, le spiritualisme le plus pur ou les illusions du panthéisme et du mysticisme. On conçoit en effet qu’une âme pénétrée d’un profond sentiment de la vanité des choses finies, et uniquement éprise de ce principe absolu et parfait auquel la dialectique aspire, on conçoit qu’à mesure qu’elle monte vers lui, elle s’imagine quitter le pur néant pour atteindre le seul être véritable, et qu’elle en vienne à dépouiller les objets qu’elle abandonne de toute la perfection, de toute la réalité qu’elle y peut saisir, pour la transporter tout entière à celui qui possède en propre l’être et la perfection, et qui contient tout en soi dans la plénitude de son existence absolue. Qr, quand on quitte ainsi du premier pas la réalité sensible, l’individualité, l’espace, le mouvement et le temps, quand cet univers n’est plus qu’une vapeur légère à travers laquelle l’âme contemple l’être parfait et absolu dans sa majesté éternelle, ne touche-t-on pas au panthéisme, à ce panthéisme idéaliste et mystique, le plus noble de tous, et parlant le plus séduisant pour une âme élevée ?

C’est ainsi que ces nobles philosophes d’Alexandrie ont été entraînés à substituer au Dieu de Platon, a ce Dieu parfait en soi et qui se suffit à soi-même dans la possession de ses sublimes attributs, la pensée, l’amour, la félicité, à ce Dieu qui crée le monde, non par nécessité ou par caprice, mais par une inspiration de sa bonté et sur un plan réglé par sa sagesse, à ce Dieu qui donne à l’âme humaine une étincelle de sa propre raison pour la guider à travers les épreuves de la vie, jusqu’au jour où il appellera à une possession plus complète de lui-même la créature, responsable et libre, devenue digne d’une telle félicité ; à ce Dieu, les alexandrins ont substitué leur fantastique trinité, formée de trois hypostases inégales, dont la troisième, cette âme universelle d’où émane nécessairement l’univers, est elle-même une émanation nécessaire de la seconde, comme celle-ci l’est de la première, de sorte que tout ce système d’émanations nécessaires et éternelles est dominé par je ne sais quelle unité inintelligible, étrangère à la conscience, à l’activité, à l’amour, à la félicité, à tous les actes de la vie, perfection creuse vers laquelle aspire l’âme abusée, et qu’elle ne peut atteindre que par la mutilation de ses meilleures facultés, abîme ténébreux où toute existence distincte, toute aspiration raisonnable, toute vertu active, tout espoir d’immortalité véritable viennent s’engloutir.

Voilà entre Platon et Plotin, entre le bon et le mauvais platonisme, des différences capitales qui ont échappé à saint Augustin. Pourquoi cela ? C’est qu’il ne connaissait que faiblement les Ennéades, Aussi nous le voyons identifier la Trinité alexandrine avec la théodicée de Platon et les rapprocher toutes deux de la doctrine chrétienne. Il assure que Plotin est de tous les philosophes celui qui a le mieux entendu Platon ; partout il identifie ouvertement l’ancien platonisme avec le nouveau. Dans sa première ferveur pour les néo-platoniciens, il allait jusqu’à dire que Plotin, c’était Platon