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L’honneur d’avoir délivré Augustin de toutes ces mauvaises doctrines qui se disputaient sa raison, dualisme, scepticisme, panthéisme, de lui avoir donné le sentiment de l’invisible et le goût de l’idéal, de l’avoir arraché aux choses de la chair pour le rendre à lui-même et faire briller aux yeux de son âme affranchie et purifiée la lumière intérieure de la vérité, l’honneur de cette révolution mémorable appartient à la philosophie de Platon.

Je ne veux invoquer ici d’autre preuve que le témoignage de saint Augustin. Il nous raconte qu’un ami de la philosophie lui mit entre les mains quelques ouvrages des platoniciens, traduits du grec en latin par un rhéteur, alors célèbre, nommé Victorinus :

« Je les lus, dit-il, et j’y trouvai toutes ces grandes vérités : que dès le commencement était le Verbe, que le Verbe était en Dieu et que le Verbe était Dieu ; que le Verbe était en Dieu dès le commencement ; que toutes choses ont été faites par lui et que rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui ; qu’en lui est la vie ; que cette vie est la lumière des hommes, mais que les ténèbres ne l’ont point comprise ; qu’encore que l’âme de l’homme rende témoignage à la lumière, ce n’est point elle qui est la lumière, mais le Verbe de Dieu ; que ce Verbe de Dieu, Dieu lui-même, est la véritable lumière dont tous les hommes qui viennent au monde sont éclairés ; qu’il était dans le monde, que le monde a été fait par lui, et que le monde ne l’a point connu… »

Ici on serait tenté d’interrompre saint Augustin et de lui dire qu’il se méprend, et qu’au lieu de citer un dialogue de Platon ou une Ennéade de Plotin, il cite l’Évangile de saint Jean ; mais il n’y a point de méprise, et saint Augustin a soin de nous en avertir : « Quoique cette doctrine, dit-il, ne soit pas en propres termes dans ces livres-là, elle y est dans le même sens et appuyée de plusieurs sortes de preuves. »

Ainsi, c’est la doctrine platonicienne du Logos divin, c’est la théorie des idées qui a dessillé les yeux d’Augustin. C’est elle qui lui a fait comprendre que le véritable être n’est pas dans ces fantômes brillans et légers qui frappent les sens ; que pour trouver la vérité, on doit se recueillir en soi, et là, dans le silence de l’imagination, écouter la raison invisible qui nous fait entendre son divin langage :

« Ce que j’avais lu dans ces livres, nous dit-il, me fit reconnaître que, pour trouver ce que je cherchais, il fallait rentrer dans moi-même, et m’en trouvant capable, ô mon Dieu ! par le secours qu’il vous plut de me donner, je rentrai, en effet, jusque, dans le plus intime de mon âme. Ce fut là que, si faible que fût mon œil intérieur, je découvris la lumière éternelle et immuable, cette lumière qui ne ressemble en aucune façon à la lumière corporelle dont nos yeux sont éclairés, quand on se la figurerait mille fois plus brillante et qu’on lui donnerait toute l’étendue qu’il est possible d’imaginer. C’est une lumière d’un tout autre genre, et je l’aperçus comme quelque chose d’infiniment élevé, même au-dessus de cet œil intérieur par où je l’apercevais et de tout ce qu’il y a de plus sublime dans mon intelligence. Elle me parut au-dessus de tout cela, non comme l’huile est au-dessus de l’eau, ni comme le ciel est au-dessus de la terre, mais comme le Créateur est au-dessus de ce qu’il a créé. »

Initié par Platon au sentiment de son être spirituel et à la conception de la