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le mal disposait toutes choses pour en faire sortir un plus grand bien. La chute de l’humanité n’est pas irréparable ; Dieu lui tient en réserve un sauveur ; mais ce n’est pas la main d’un homme qui peut accomplir un tel ouvrage. L’humanité, sous le poids de ses fautes, est tombée dans un abîme aux profondeurs infinies ; il faut une puissance infinie pour l’en faire sortir. Quel sera le Sauveur tout-puissant qui, par une intervention impérieuse, renouera le lieu entre l’homme et Dieu, si ce n’est Dieu lui-même ? Ce miracle de l’amour s’est accompli : la sagesse éternelle, est descendue parmi les hommes, te Verbe s’est fait chair, et il a habile parmi nous. Homme et Dieu tout ensemble, il est la voie du salut qui ramène à Dieu l’homme régénéré.

L’incarnation future du Christ, c’est la suprême raison d’être du genre humain, et c’est aussi le flambeau qui éclaire l’histoire entière de ses destinées. Parmi les révolutions des empires, la Providence divine, qui dirige, selon ses desseins, le cours des choses humaines, s’y propose un unique objet, c’est de préparer, de poursuivre et de consommer le règne du Christ. D’un regard immobile, elle suit le torrent qui emporte les générations humaines, et dans cette confusion et ces ténèbres de la cité de la terre elle recueille siècle par siècle les membres futurs de la cité du ciel, ces glorieux élus destinés à se réunir avec les anges fidèles au jour où toute lutte cessera, où toute vicissitude des siècles sera épuisée, et où le Juge des vivans et des morts ayant rendu à chacun suivant ses œuvres, toutes les créatures prendront la place, le rang et la condition qu’elles ne doivent plus quitter.

La destinée terrestre du genre humain se partage en deux époques : l’une qui prépare l’avènement de l’Homme-Dieu, l’autre qui en développe les effets. Avant le Christ, parmi les superstitions qui couvrent l’univers, et pendant que les peuples se disputent en de sanglans combats la possession des biens de la terre, de ces biens que Dieu livre tour à tour en partage aux bons et aux méchans, selon les conseils impénétrables de sa Providence, qui fait luire son soleil et tomber sa pluie sur les justes et sur les injustes, un seul peuple, choisi de Dieu, garde le dépôt de la vérité. Mais, outre que les mystères de l’avenir ne lui sont connus que sous les voiles de la parole des prophètes, au sein même de cette nation privilégiée éclate la lutte des deux cités. L’immolation d’Abel en est le premier symbole, et cette victime innocente annonce une victime plus pure encore dont le sang est d’un incomparable prix. Figuré par la suite des saints patriarches, annoncé par les prophètes, pressenti sur la face du monde entier par la sagesse des philosophes et par l’inspiration des poètes, l’Homme-Dier parait enfin ; il passe en faisant du bien, sème la parole de vie, souffre, meurt, et, du haut de sa croix, appelle et embrasse le genre humain.

Cependant le gigantesque empire, qui avait vaincu et remplacé tous les empires, chancelle à son tour. La dépravation des mœurs, continue ce que les guerres civiles avaient commencé ; les Barbares vont faire le reste. Au milieu de ces ruines et de ces bouleversemens s’avance l’église. Formée, à l’origine, de quelques hommes ignorans et grossiers, perdus dans un coin obscur de l’univers, elle s’accroît rapidement et se propage parmi les peuples. L’hérésie ne sert qu’à affermir ses dogmes et la persécution à centupler ses