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des communes, des établissemens de bienfaisance. Quant aux biens de l’état, les pouvoirs publics de l’Espagne avaient sans doute le droit d’en disposer, fût-ce d’une manière, impolitique et pour un résultat financier douteux. Leur droit était déjà plus contestable en ce qui touchait beaucoup de propriétés communales. Quant aux biens du clergé, ils étaient sous le régime du dernier concordat.

La question, vue de près, n’est peut-être pas en elle-même aussi grosse qu’on le pense. Le concordat prescrit la vente d’une grande portion des biens ecclésiastiques, dont le prix doit être transformé en 3 pour 100 au profit du clergé, et pour constituer sa dotation. La loi actuelle ne fait point autre chose. Seulement il y avait une certaine partie de ces propriétés qui n’étaient point soumises à la vente selon le concordat. Il y avait donc là une difficulté qui pouvait n’être rien si on avait recours à des voies régulières, qui pouvait s’aggraver au contraire si on prétendait agir violemment. C’est ce dernier parti qu’on a pris. On a fait de cette question une affaire révolutionnaire, et alors les scrupules de la reine ont été éveillés quand il s’est agi pour elle d’exercer un droit que les cortès actuelles elles-mêmes lui ont reconnu, le droit de sanction. Ce qui s’est passé à cette occasion au palais d’Aranjuez, où était la reine Isabelle, il serait difficile de le dire. Toutes les versions ont pu s’accréditer, et les deux principaux membres du cabinet, les généraux Espartero et O’Donnell, ont été accusés d’avoir joué le rôle le plus étrange. Les ministres ont nié, il est vrai, qu’ils eussent fait aucune violence à la reine. Il n’y a point eu sans doute de violence matérielle ; ce qui est positif, c’est que la reine a eu à se faire une grande violence morale, et que très certainement on l’a placée dans une situation où elle n’était point libre de suivre sa propre impulsion. Il parait qu’il a été un moment douteux à Madrid si la reine Isabelle donnerait sa sanction à la loi de désamortissement, et pendant ce temps sait-on à quoi étaient occupés un certain nombre de membres des cortès ? Ils se réunissaient dans une salle du palais du congrès, et ils faisaient des motions révolutionnaires ; l’un d’eux proposait même de proclamer la vacance du trône, si la loi votée par les cortès n’était pas sanctionnée. Nous ne voulons rappeler qu’un souvenir, qui peut donner une idée de ce que c’est que ce prétendu respect de certains progressistes espagnols pour les droits des chambres. Aujourd’hui on a failli faire une révolution parce que la reine hésitait à sanctionner une loi, et en 1840 on en faisait une réellement, parce que la reine Christine, alors régente, avait donné sa sanction à une autre loi régulièrement votée par les cortès. Dans les deux cas, c’était un prétexte ; la véritable cause était l’emportement des passions révolutionnaires. Seulement après le bruit qu’a fait cet incident, on peut se demander si l’effet financier qu’on attendait de la loi de désamortissement ne sera pas sensiblement amoindri. Les finances espagnoles n’avaient pas cependant besoin de cela. Depuis plusieurs mois déjà, le cabinet de Madrid cherche à négocier un emprunt, et il ne réussit pas, en vertu de cet axiome bien simple, que les bonnes finances sont l’œuvre de la bonne politique.

Cette terrible question religieuse qui vient d’agiter l’Espagne, elle se retrouve dans le Piémont, où elle a aussi ses péripéties. Il s’agit encore d’une