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vient la part de responsabilité du chef du gouvernement français. Cette part, c’est le système d’absorption suivi à l’égard de l’Italie, qui avait été un objet réservé dans les négociations. Napoléon cédait à une sorte d’enivrement de victoire et de puissance. « L’occasion est trop belle pour ne pas la saisir, et nous trop habiles pour ne pas en profiter, » disait Talleyrand dans une lettre à Joseph pendant que le traité de Lunéville se négociait. C’était une politique de tentation, et c’est sur cette pente qu’allait se précipitée l’empire. Napoléon ne vit pas que la France était plus grande réellement quand elle allait jusqu’au Rhin que lorsqu’elle allait au cœur de l’Allemagne, lorsque Rome était un département français, parce que la première de ces grandeurs était durable, et que l’autre était une lutte contre l’impossible. Un des plus curieux épisodes, à coup sûr, de cette publication nouvelle est la correspondance de l’empereur avec le cardinal Fesch. Ici ce n’est point contre l’impossible que Napoléon vient échouer, ce n’est point contre la coalition des états ou la conjuration des élémens, c’est contre un pape et quelques prêtres. L’empereur aimait la religion, mais il l’aimait un peu comme une matière de gouvernement. C’était sensible, surtout à la partie des commandemens de l’église qui enseigne à respecter l’ordre social et « à ne point abuser de la liberté. » Rien n’égale l’étonnement et l’impatience hautaine dont il est saisi lorsqu’il se trouve en présence d’une résistance passive et désarmée, contre laquelle il est impuissant. Il ne se rend pas compte de cette lutte qui l’exaspère, et dont le secret est dans un mot d’une lettre que lui adressait le cardinal Fesch : « Sire, lui disait son oncle, vous couvrez la terre de vos armées et de votre puissance ; mais vous ne sauriez commander aux consciences. » C’est là tout le secret. Lumineuse et forte leçon de l’histoire de ce temps, où l’impossibilité même de ses tentatives de domination revenait à Napoléon sous toutes les formes, dans la parole du cardinal Fesch aussi bien que dans une parole à peu près semblable de Joseph au sujet de l’Espagne !

Ainsi s’accumulent les documens et les lumières pour l’histoire du passé. Que peut être l’histoire contemporaine, si ce n’est l’observation du mouvement des peuples, de leurs traditions survivantes, de leur caractère, de leurs mœurs, de leurs révolutions, — tableau qui se renouvelle sans cesse, pour ainsi dire, sous l’œil de l’observateur ? Une des formes littéraires les plus propres à reproduire ce genre de tableau dans sa mobilité, ce n’est point l’histoire proprement dite : c’est le voyage, un voyage fait par un esprit curieux, pénétrant et sincère. On a ici la vie même des peuples prise sur le fait, saisie dans sa profondeur et son originalité. Peu de récits de voyage ont plus d’intérêt que celui auquel la Suédoise Mme Bremer a donné le titre de : la Vie de famille dans le Nouveau-Monde, et qui est passé aujourd’hui tout entier dans notre langue. Le récit de Mme Bremer n’a point la prétention d’être méthodique ; c’est une suite de lettres passant d’un sujet à l’autre, écrites sous l’inspiration de chaque jour. Ici c’est de la politique à Washington, là c’est une fête indienne presque dans le désert. La peinture de mœurs succède au portrait des principaux hommes publics. Les excentricités américaines ont leur place à côté des spectacles les plus puissans de la civilisation. Mme Bremer aime assez l’Amérique pour la comprendre et chercher à la connaître.